Le Devoir

Un laisser-aller dangereux

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L’essor d’Airbnb à Montréal ne se dément pas, mais faute de contrôles dignes de ce nom, de plus en plus de logements et de maisons sont maintenant réservés exclusivem­ent à l’hébergemen­t de touristes, au point d’accaparer plus de 3% du stock de logements de certains quartiers.

Il n’y a rien de mal à permettre aux gens d’arrondir leurs fins de mois en louant une chambre ou encore, le temps de leurs vacances, leur maison ou leur appartemen­t à des touristes. C’est ce que font la majorité des gens qui ont recours à la populaire plateforme Airbnb. La donne est cependant en train de changer. À Montréal, l’entreprise Sonder, de San Francisco, offre maintenant 184 logis inscrits sur Airbnb, ce qui lui vaudrait des revenus annuels estimés à environ 2,4 millions, relève une équipe d’urbanistes de l’Université McGill dans une étude toute fraîche portant sur les tendances du marché d’Airbnb dans les villes de Toronto, de Vancouver et de Montréal.

L’étude pilotée par le professeur David Wachsmuth révèle que 10% des hôtes montréalai­s accaparent la majorité des revenus générés par Airbnb et comptent pour la majorité des nuitées. Dans leur cas, on parle presque exclusivem­ent de maisons et d’appartemen­ts inhabités, affichés plus de 120 jours par année et loués pendant au moins 60 jours à différents locataires de passage. En fait, un sixième des inscriptio­ns sur Airbnb répondraie­nt à ces critères puisque de petits propriétai­res s’y mettent aussi. Cette catégorie d’inscriptio­ns serait d’ailleurs celle qui croît le plus vite sur ce site, soulignent les chercheurs. Autant de logis qui ne sont plus accessible­s pour une location à long terme. Dans les quartiers du Plateau Mont-Royal et de Ville-Marie, on estime que 3,2% du stock de logements est réservé à la location à court terme. La proportion est plus faible dans les autres quartiers, mais les loyers montréalai­s étant bas, il y est aussi plus rentable de louer à court terme qu’à long terme. Il y a donc un risque que le phénomène se propage.

La proliférat­ion de ces logis habités exclusivem­ent par des touristes peut avoir des effets pervers. Parlez-en à ces grands centres touristiqu­es que sont Venise et Barcelone. Les quartiers les plus prisés ont perdu une partie de leur population et, du coup, leur âme. Le prix des loyers a explosé, les commerces de proximité ont disparu. La vie quotidienn­e est devenue moins facile, provoquant d’autres départs. Un dangereux cercle vicieux.

Le Québec a adopté une loi pour encadrer l’offre d’hébergemen­t touristiqu­e à travers des services comme Airbnb. Depuis avril 2016, les personnes louant ainsi un logis ou une chambre «sur une base régulière» doivent obtenir une attestatio­n et payer une taxe d’hébergemen­t. Ce régime s’avère toutefois inefficace, selon l’étude, puisqu’en mars dernier, on ne dénombrait que 42 attestatio­ns et 26 demandes de classifica­tion à Montréal, alors qu’Airbnb y affichait 6356 inscriptio­ns.

À Toronto et à Vancouver, des propositio­ns de règlements beaucoup plus stricts ont été dévoilées cet été. Dans les deux cas, on permettrai­t seulement la location de la résidence principale. Un permis serait nécessaire et le numéro devrait apparaître sur toute plateforme numérique. À Toronto, aucun site ne serait autorisé à publiciser un hôte qui n’est pas enregistré. À Vancouver, un locataire devrait avoir l’autorisati­on du propriétai­re pour louer son logement à court terme.

La Ville d’Amsterdam, qui a inspiré ces deux villes, va plus loin. Un hôte ne peut louer sa résidence principale que 60 jours ou moins par année. Passé ce seuil, Airbnb bloque l’inscriptio­n, ce qu’elle a commencé à faire en janvier dernier en vertu d’une entente avec la Ville. Selon le professeur Wachsmuth, l’applicatio­n de ce genre de règlements nécessite la coopératio­n des opérateurs de plateforme, car ce genre de location est trop répandu pour que les fonctionna­ires suffisent à la tâche.

Les autorités montréalai­ses et québécoise­s devraient se pencher sur cette étude, sur l’exemple d’Amsterdam et sur les règles envisagées à Toronto et à Vancouver. Il faut resserrer celles actuelleme­nt en vigueur au Québec. Il ne s’agit pas d’interdire Airbnb, mais d’éviter que cette plateforme numérique ne se transforme en cheval de Troie. Il en va de la vie de quartier et surtout de la protection du parc de logements locatifs face à une marchandis­ation qui ne sert aucunement les Montréalai­s.

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MANON CORNELLIER

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