Le décès d’un rêveur
Je ne sais pas pourquoi, mais la mort de Sam Shepard me fait de la peine. Me bouleverse. Un peu comme celle de Lou Reed en 2013. Ce sont des artistes qui partent trop tôt. Ou bien ce sont des poètes qu’on croit éternels.
Sam et Lou, je n’arrive pas à les imaginer en train de mourir. Il y a Sam l’acteur, il y a Sam le dramaturge. Sam le dramaturge reflète bien pour moi cette avant-garde théâtrale américaine des années 1960. Un de ces mouvements théâtraux les plus excitants du XXe siècle.
Par son écriture, Sam Shepard fait partie de ces dramaturges qui immortalisèrent ce courant théâtral contre-culturel que représentaient le Living Theatre, l’Open Théâtre, le Café La Mama, le Performance Group et d’autres troupes expérimentales plus éphémères.
L’écriture de Sam, à la manière américaine, réussissait à bousculer toutes les normes traditionnelles du théâtre.
Cette photo de Sam avec Dylan et Ginsberg qui circule sur les réseaux sociaux en dit beaucoup à propos du personnage de cette période de sa vie. Le jeune poète beatnik, encore beaucoup cowboy, aboutit un peu innocemment à Greenwich Village. Il fréquenta le Chelsea Hotel au moment où commençait à s’imposer le OffOff-Broadway dans le paysage théâtral américain.
Indémodable
J’ai vu Sam au théâtre, en 1978. Il était sur scène. De dos. Il faisait de la percussion derrière Joseph Chaikin, son maître, qui interprétait d’une manière magistrale Tongues, un long monologue qu’ils avaient écrit à deux, en se fixant des rendez-vous à toutes sortes d’endroits plus ou moins saugrenus de New York.
Je percevais dans ce texte tous les thèmes shepardiens, mais surtout cette espèce de romantisme radical qui constitue un des points forts de son oeuvre: une vision sans concession de l’amour que l’on retrouve autant dans Fool for Love que dans Paris Texas.
Shepard incarne la modernité «western» du théâtre américain contemporain. Mais aussi, issu de la création collective et des improvisations d’acteurs et d’actrices en recherche animés par Chaiken, son style se démarque par des espèces de dialogues qui dérapent où les personnages exécutent, dans des sortes de riffs délirants, des tirades sans repère, mais pourtant bien ancrés dans le réel. On peut en retrouver certains extraits sur YouTube.
Je n’ai pas suivi, comme d’autres, l’itinéraire cinématographique de Shepard l’acteur. J’ai toujours pensé, peut-être à tort, que cette autre carrière l’a freiné dans ses écritures. Il n’en demeure pas moins que j’ai toujours été ému de le retrouver sans m’y attendre dans quelques films. J’y sentais le poète (le rêveur), même dans ses rôles les plus discrets.
Adieu Sam. Je me replongerai très souvent dans tes écrits. Tu avais raison d’admirer Samuel (un autre Sam) Beckett, cet auteur indémodable tant sa recherche était volontairement sans issue. Tes textes m’inspireront encore pendant bien des années. J’y perçois au coeur des rythmes atypiques de tes personnages de nouvelles pistes théâtrales à défricher.