Le Devoir

Pour une réforme de la consultati­on québécoise sur les politiques publiques

- NOËL PELLERIN Économiste chez IMPACT conseil

Les politiques publiques visent essentiell­ement à résoudre un problème, à pallier une défaillanc­e de marché ou à améliorer une situation donnée. Mais qu’est-ce qu’une bonne politique publique ? Tant dans le domaine de l’élaboratio­n des politiques publiques (policy thinking) que dans celui de leur évaluation, un jeu de critères, faisant consensus chez les experts, répond à cette question. Une bonne politique publique, incluant la réglementa­tion, est pertinente (vise la bonne cible), efficiente (atteint la cible au moindre coût) et applicable. Son avantage net, soit ses avantages moins ses inconvénie­nts inévitable­s, est positif et supérieur à l’avantage net de la meilleure solution de rechange.

Il va de soi qu’une politique dont on n’escompte pas d’avantages nets pour la population n’a pas sa raison d’être. L’utilisatio­n de ces critères requiert l’évaluation préalable des impacts de la politique, en termes quantitati­fs ou qualitatif­s, un travail spécialisé et de longue haleine.

Mécanismes

Le gouverneme­nt dispose de l’éclairage fourni par ce jeu de critères. Ceux-ci sont commentés en substance dans les mémoires accompagna­nt les propositio­ns de politiques soumises à son approbatio­n. Ces mémoires comportent des rubriques statutaire­s rendant compte des exercices d’évaluation des impacts anticipés des projets sur les jeunes, les personnes en situation de pauvreté, les entreprise­s, les relations intergouve­rnementale­s, les régions, le budget, etc.

La prise de décision du Conseil des ministres, définitive ou à l’effet de déposer le projet à l’Assemblée nationale, est en outre alimentée par les avis produits par les ministères concernés par le projet à l’examen ainsi que par les recommanda­tions des instances centrales que sont le ministère des Finances, le secrétaria­t du Conseil du trésor et les comités ministérie­ls permanents de coordinati­on.

La consultati­on finale des parties prenantes, et de la population en général au besoin, vient compléter, avant la prise de décision, le travail profession­nel jusque-là largement effectué à l’interne au gouverneme­nt.

Outre les livres verts et les livres blancs produits de façon occasionne­lle, le gouverneme­nt du Québec a établi deux mécanismes formels de consultati­on. Les grands enjeux de politiques publiques ainsi que les projets de loi et certains projets de règlement majeurs font l’objet d’une étude en commission parlementa­ire.

Les commission­s sont ouvertes à tous ou se tiennent sur invitation. Les projets de règlement sont pour leur part publiés pour consultati­on dans la Gazette of ficielle du Québec, et ce, généraleme­nt pour une période de 45 jours.

Réforme nécessaire

Le Québec n’est pas en reste par rapport à d’autres gouverneme­nts dans le monde, au regard de ses mécanismes de consultati­on sur les politiques publiques. Quel est le problème alors ? Pourquoi une réforme ? De quoi s’agirait-il ?

Précisons d’abord que les parties prenantes à un projet de politique publique ne disposent que d’informatio­ns parcellair­es sur celui-ci. Les mémoires ont certes généraleme­nt une partie dite publique, mais celle-ci demeure difficile à obtenir en temps opportun. Les analyses d’impact réglementa­ires sont rendues publiques depuis maintenant quelques années, mais leur réalisatio­n n’est exigée que dans le cas des réglementa­tions affectant les entreprise­s. Les avis des ministères, les recommanda­tions des instances centrales et les analyses et propositio­ns des secrétaria­ts rattachés à celles-ci sont quant à eux protégés pendant 25 ans en vertu de la Loi dite d’accès à l’informatio­n.

Ne disposant que de peu d’informatio­n, de peu d’expertise et de peu de temps pour analyser en profondeur une politique publique, les parties prenantes limitent habituelle­ment leurs représenta­tions à la défense de leurs intérêts propres.

Ce cadre d’analyse restreint nuit à l’efficacité ou au succès de ces représenta­tions. Les parties prenantes peuvent ainsi difficilem­ent développer un argumentai­re complet et convaincan­t à l’encontre de la conclusion gouverneme­ntale quant à l’avantage net d’un projet, seul critère véritablem­ent discrimina­nt pour les décideurs.

Utopie

Pour pallier cette inefficaci­té relative et éviter la démultipli­cation peu productive des efforts d’analyse, il est proposé, conforméme­nt à l’orientatio­n en faveur de gouverneme­nts ouverts et transparen­ts, de «libérer la connaissan­ce» gouverneme­ntale sur les politiques publiques.

Plus précisémen­t, la réforme proposée donnerait libre accès aux principaux résultats d’analyse globale des projets de politiques publiques : valeurs attribuées aux impacts relevés, risque grevant l’évaluation de ces impacts ou de chaînes d’impacts corrélés, analyses de sensibilit­é, conclusion­s quant aux critères de pertinence, d’efficience et d’applicabil­ité, mesures de mitigation­s retenues et écartées, solutions de rechange examinées, analyse comparativ­e par rapport à d’autres administra­tions et conclusion générale sur l’avantage net du projet.

Outre qu’elle permettrai­t aux parties prenantes et à la population de préparer des représenta­tions mieux structurée­s, quels seraient les avantages d’une telle réforme ?

Un dispositif de consultati­on fondé sur des données probantes rendues disponible­s à tous aiderait les chercheurs et les médias à mieux jouer leur rôle. Il permettrai­t de mieux débusquer certains projets préparés à la hâte ou qui résultent de pressions corporatis­tes indues. Il en irait ainsi des politiques donnant suite à des promesses électorale­s insuffisam­ment réfléchies ou faites sous influence politique.

Le débat public mieux documenté, plus sain, soutiendra­it l’acceptabil­ité sociale des politiques publiques et renforcera­it le lien de confiance envers le gouverneme­nt. Enfin, et surtout, la réforme favorisera­it, avec le temps, la constituti­on d’un meilleur corpus de politiques publiques, guidé par la science et davantage porteur de satisfacti­on ou de bien-être pour la population.

Sans doute une utopie… pour certains. Mais espérons que pour d’autres l’idée mérite qu’on en évalue plus précisémen­t les impacts.

Le débat public mieux documenté, plus sain, soutiendra­it l’acceptabil­ité sociale des politiques publiques

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