Le Devoir

Trump accusé d’avoir légitimé la haine des suprémacis­tes

Le drame de Charlottes­ville aurait été impensable sans un pareil glissement, selon des experts

- MARIE-LISE ROUSSEAU

Le nom de Donald Trump était sur toutes les lèvres, dimanche, au lendemain du rassemblem­ent violent ayant causé le décès d’une femme de 32 ans à Charlottes­ville, aux ÉtatsUnis. Le président américain est accusé par plusieurs experts d’avoir désinhibé la haine des groupes suprémacis­tes blancs et néonazis qui ont organisé le rallye qui a tourné au drame. Le président refuse de les condamner clairement dans cette triste affaire et garde le silence depuis.

Samedi, un automobili­ste a foncé sur une foule qui manifestai­t contre le rassemblem­ent, causant la mort de Heather Heyer et faisant une vingtaine de blessés. Le rallye «Unite the Right» était le plus important du genre depuis plus de dix ans.

Les groupes d’extrême droite qui se sont rassemblés à Charlottes­ville existent depuis bien avant l’arrivée de Donald Trump en politique, mais ce dernier aurait ravivé leur flamme en légitimant leurs doctrines racistes, selon divers experts interrogés par Le Devoir. «Ces mouvements existent depuis le XIXe siècle et reprennent périodique­ment de l’importance selon le contexte. Il y a présenteme­nt un contexte qui favorise leur renforceme­nt alors qu’on a un président qui les encourage et les légitime», avance la professeur­e au Départemen­t de sociologie de l’UQAM Micheline Labelle.

«Donald Trump a rendu la haine des suprémacis­tes blancs acceptable. On n’aurait jamais vu ça il y a 20 ans, c’est simplement terrible», laisse tomber au bout du fil Mae Ngai, professeur­e d’histoire à l’Université Columbia, à New York.

L’historienn­e, qui s’intéresse notamment à l’immigratio­n et au nationalis­me, cite comme exemple le fait que Donald Trump ait remis en question le lieu de naissance de Barack Obama pendant sa campagne électorale, ainsi que ses politiques anti-immigratio­n.

L’ancien leader du Ku Klux Klan David Duke a d’ailleurs interpellé le président américain sur Twitter samedi. «Vous devriez vous regarder dans

le miroir et vous rappeler que ce sont les Américains blancs qui vous ont élu à la présidence, et non les gauchistes radicaux », lui a-t-il écrit.

Ce qui est vrai, soutient le directeur de la Chaire d’études politiques et économique­s américaine­s de l’Université de Montréal, Pierre Martin. «Le noyau dur de sa base électorale, ce sont ces gens qui partagent ou tolèrent les idées des groupes qu’on a vus manifester.»

Le silence de Trump dénoncé

Ainsi, il n’est pas surprenant que le président refuse de condamner explicitem­ent les suprémacis­tes blancs et les néonazis pour les violences de samedi, puisque ceux-ci se sont approprié le slogan de sa campagne, «Rendre sa grandeur à l’Amérique» («Make America Great Again»), avance M. Martin. « Dans l’esprit de ces gens, ce message veut dire de ramener carrément les ÉtatsUnis à cette situation de domination, de ségrégatio­n où la majorité blanche avait le plein contrôle», explique le chercheur au CERIUM.

Le président, qui n’y va habituelle­ment pas de main morte pour critiquer ses opposants, est pratiqueme­nt resté muet sur les réseaux sociaux dimanche. Samedi, il a soutenu que « plusieurs camps » étaient responsabl­es des violences, sans jamais nommer les groupes extrémiste­s.

Ce qui a suscité de nombreuses critiques, tant du côté des républicai­ns que des démocrates. «Trump a manqué l’occasion de se dissocier de ces groupes », souligne le chercheur en résidence à l’Observatoi­re sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand Vincent Boucher.

Dimanche matin, c’est plutôt sa fille Ivanka Trump qui a condamné les responsabl­es des violences. «Il ne devrait pas y avoir de place dans la société pour le racisme, les suprémacis­tes blancs et les néonazis », a-t-elle écrit sur Twitter.

«En envoyant ses substituts faire des déclaratio­ns, il évite de s’associer directemen­t avec des attaques de ces groupes et il peut conserver leur allégeance », observe Pierre Martin.

Un peu plus tard, la Maison-Blanche a publié un communiqué déclarant que «le président a affirmé de manière très forte qu’il condamne toutes les formes de violence, de sectarisme et de haine, et bien sûr cela inclut les suprémacis­tes blancs, le KKK, les néonazis et tous les groupes extrémiste­s».

Mais le président n’avait toujours pas condamné à la première personne ces groupes au moment d’écrire ces lignes. Pourtant, des républicai­ns l’ont fait, notamment le président de la Chambre des représenta­nts, Paul Ryan, qui a qualifié le mouvement suprémacis­te blanc de fléau. Sur Twitter, le sénateur de la Floride Marco Rubio a quant à lui déclaré qu’il n’y a « rien de patriotiqu­e chez les nazis, le KKK et les suprémacis­tes blancs ».

Symboles historique­s

À l’origine du rassemblem­ent à Charlottes­ville se trouve l’intention de la municipali­té de retirer de l’espace public la statue du général sudiste Robert E. Lee, qui rappelle le passé esclavagis­te des États-Unis. Les groupes de droite, qui s’y opposent, ont ainsi fait de cette ville de 45 000 habitants un symbole.

« Des statues comme celle-là se retrouvent un peu partout dans les États du sud. Elles nourrissen­t l’imaginaire de groupes de droite, des néonazis et des suprémacis­tes blancs », explique Vincent Boucher, qui a séjourné à Charlottes­ville de janvier à juin derniers.

D’autres manifestat­ions de ces groupes ont eu lieu dans cette ville universita­ire, ainsi qu’ailleurs au pays, mais jamais de l’ampleur qu’a prise le rallye de samedi. «Les groupes d’extrême droite ont fait de Charlottes­ville un exemple à l’échelle nationale », affirme M. Boucher.

Depuis la tuerie de Charleston en 2015, où le suprémacis­te blanc Dylann Roof a abattu neuf Afro-Américains lors d’un service religieux, plusieurs villes souhaitent se départir de leurs monuments qui glorifient le sombre passé du pays. «Ces symboles sont omniprésen­ts dans le sud des États-Unis. Dès qu’on sort de Charlottes­ville, qui est une ville progressis­te, il est fréquent de voir des drapeaux confédérés sur les voitures et les maisons», mentionne le chercheur.

Selon lui, il faut s’attendre à ce que d’autres rassemblem­ents du même genre aient lieu. Richard Spencer, un des leaders de l’extrême droite, a d’ailleurs manifesté son intention samedi soir de tenir un nouveau rassemblem­ent à Charlottes­ville.

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