Le Devoir

Hoodstock passe de sommet à incubateur, et troque la colère pour l’action

L’événement né en réaction à la mort de Villanueva prend pignon sur rue et gagne en ambition

- SARAH R. CHAMPAGNE

Le sommet Hoodstock a tenu sa quatrième édition cette fin de semaine dans le quartier Montréal-Nord. Sur fond de fortes tensions raciales aux États-Unis et d’une accélérati­on de l’arrivée des demandeurs d’asile, l’événement se fait plus ambitieux en prenant pignon sur rue.

Le mouvement est né en 2008 de la rage devant la mort du jeune Fredy Villanueva, un jeune tombé sous les balles d’un policier au parc Henri-Bourassa. Année après année, l’actualité les a rappelés à l’urgence de se faire entendre: la mort de Bony Jean-Pierre, puis l’invisibili­té de Villanueva dans une murale de l’arrondisse­ment, et le profilage racial, encore.

La troisième édition a donc été réactivée en 2016, après un collectif affairé à d’autres activités. Le sommet était de retour, «pour réfléchir, s’asseoir ensemble et discuter», expose la porte-parole de Hoodstock, Amel Zaazaa.

De retour aussi, l’oubli. Même le Forum social mondial, cet événement des «alter» par excellence, avait oublié d’inscrire le «sommet noir » à sa programmat­ion.

Devenir visibles

L’expression est certes un «remède à l’oppression», comme l’a dit la rappeuse Meryem Saci durant un atelier de performanc­e samedi. Il faut d’abord se sortir de l’invisibili­té, pour le mieux, pas pour le pire, avertit la citoyenne du quartier.

«Le quartier a tellement mauvaise presse. On parle des problèmes de violence conjugale, de gangs de rue, de criminalit­é. Mais on ne parle pas du fait que c’est le quartier le plus pauvre du Québec et même du Canada. On ne dit pas qu’il y a une fracture numérique et un taux élevé de chômage, par exemple », décrit Mme Zaazaa.

Il fallait donc faire plus, et tous les jours. Un local a été inauguré vendredi dernier et une présence permanente pour travailler «à longueur d’année». «On a réfléchi, on s’organise et maintenant, on agit collective­ment. On s’élève», reprend Amel Zaazaa.

Leur intention est maintenant d’accompagne­r des projets, comme une clinique de proximité, une maison du numérique ou un centre d’aide et de lutte contre les agressions sexuelles. «Nous voulons appuyer des projets structuran­ts, comme en témoignent ces propositio­ns concrètes. »

Dans le cas du numérique, par exemple, Hoodstock veut s’adresser en priorité aux jeunes du quartier: «Ils n’ont pas nécessaire­ment les moyens d’aller dans cette filière, l’une des industries les plus prospères à Montréal.» Alors que plusieurs parcs de la ville bénéficien­t d’une connexion gratuite, Montréal-Nord semble hors zone. «C’est pourtant ici que les gens n’ont pas nécessaire­ment les moyens. Mais c’est fondamenta­l pour l’accès au savoir, à des apprentiss­ages ou même pour chercher un emploi», insiste la porte-parole.

Une librairie entièremen­t consacrée aux auteurs et autrices racisés, Racines, a déjà vu le jour à deux pas du local permanent de Hoodstock. Pourquoi les concentrer en un lieu ? «Parce que je dois moimême chercher sur Internet des livres où ma fille va se reconnaîtr­e. Nous nous connaisson­s mal, et pendant ce temps-là, nous nous demandons quelle Histoire est en train d’être racontée », répond l’organisatr­ice.

Il sera plus facile aussi de « bâtir des solidarité­s » avec une présence 365 jours par année, comme en atteste la liste des invités de la fin de semaine dernière. La militante française Assa Traoré y a discuté de brutalité policière, elle qui a perdu sa soeur sous les balles policières.

Le journalist­e Desmond Cole était aussi parmi les invités. Son témoignage «The Skin I’m in» («La peau dans laquelle je suis ») faisait état de 50 contrôles de la part de policiers de Toronto. « Et je ne suis pas un criminel», écrivait-il en 2015 dans le Toronto Life. L’article sous forme de témoignage a soulevé un tel tollé que le thème — comme son journalist­e — a été repris par CBC en 2017 sous forme de documentai­re.

Le débat continuant à être alimenté par des données prouvant le profilage racial, la police de Toronto s’est vu forcée de réviser ses pratiques de contrôle aléatoire d’identité.

Devenir incontourn­able

Le collectif et ses sympathisa­nts ont aussi fait partie de la Coalition qui a réclamé durant des mois la tenue d’une commission sur le racisme systémique. Le gouverneme­nt Couillard a finalement annoncé qu’une consultati­on sur la discrimina­tion et le racisme systémique sera menée cet automne par la Commission des droits de la personne.

Hoodstock prend tout de même garde à l’institutio­nnalisatio­n trop rapide: «Le bureau se trouve dans des logements solidaires, on veut rester au coeur de la population», affirme la femme. Cette colère, leur première étincelle, n’est pas loin non plus: « Deux jours avant le début de Hoodstock, nous étions à la neuvième veillée pour Fredy Villanueva, rappelle-telle, et neuf ans plus tard, justice n’a toujours pas été faite. Le minimum aurait été d’avoir une plaque commémorat­ive, mais malgré la pétition signée par des centaines de personnes, ce n’est toujours pas fait.»

Leur voix est donc là pour rester et résonner davantage. «Il y a eu plus de 800 personnes l’an dernier et encore plus cette année. Les salles étaient pleines pour chaque conférence », affirme Mme Zaazaa. À l’instar d’autres membres du collectif, elle a pris trois mois de «congé» pour organiser bénévoleme­nt l’événement. «Parce qu’on y croit vraiment. »

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 ?? PEDRO RUIZ LE DEVOIR ?? Ouverte début août, installée à deux pas du nouveau local de Hoodstock, la librairie Racines rassemble des ouvrages d’auteurs racisés.
PEDRO RUIZ LE DEVOIR Ouverte début août, installée à deux pas du nouveau local de Hoodstock, la librairie Racines rassemble des ouvrages d’auteurs racisés.
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Amel Zaazaa

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