Le Devoir

Des signaux linguistiq­ues contradict­oires à la commission des jeunes libéraux

Après le rejet d’une propositio­n assoupliss­ant la Charte de la langue française par les jeunes libéraux, réunis en congrès, Philippe Couillard envoie un message d’ouverture aux Québécois anglophone­s

- MARIE-MICHÈLE SIOUI à Sherbrooke

Àl’issue du congrès des jeunes libéraux dimanche à Sherbrooke, le premier ministre Philippe Couillard a ravivé l’ardeur des anglophone­s du Québec, qui s’étaient auparavant impliqués avec passion dans un débat sur la langue d’enseigneme­nt au Québec.

«Votre présence est nécessaire, désirée. Nous avons besoin de vous pour construire un meilleur avenir pour tous les Québécois», a lancé le chef libéral, en anglais, aux membres de la Commission-Jeunesse du Parti libéral, réunis à l’Université Bishop’s pour la fin de semaine. «Aux Québécois anglophone­s: ceci est votre maison. Ceci est votre moment, a-t-il déclaré. Je sais que vous allez parler à vos amis, qui ont décidé de vivre ailleurs et de quitter le Québec. Dites-leur de revenir au Québec.»

Un peu plus tôt, les jeunes libéraux ont majoritair­ement rejeté une propositio­n qui aurait assoupli la Charte de la langue française en permettant à des francophon­es de fréquenter l’école anglophone.

Au micro, des jeunes ont souligné l’importance des institutio­ns anglophone­s dans le rayonnemen­t du Québec, tandis que d’autres ont lancé des appels de compassion à l’endroit des locuteurs de l’anglais. «Quand je marche dans la rue, je suis accepté. Mais dès l’instant où j’ouvre la bouche, on note mon accent anglais. On me dévisage, on me méprise», a dénoncé un jeune homme. «Il y a des endroits où je ne me sens pas accepté. Si je sors du campus de McGill, si je quitte le West Island, si je fais un effort pour parler aux gens en français, on me regarde de haut », a-t-il ajouté.

Tous n’ont pas accepté cette vision des choses. «Je ne pense pas que l’anglais est menacé en Amérique du Nord», a répliqué un autre jeune libéral.

Le débat a duré une trentaine de minutes et a été écourté par une participan­te qui a proposé de passer au vote. De façon majoritair­e, les jeunes libéraux ont dit non à la propositio­n visant à «permettre à un nombre restreint d’élèves, dont un des parents a étudié à une école française au Canada, d’étudier dans le réseau scolaire public anglophone, dans le cadre d’un projet pilote ».

La résolution, mise en avant par les jeunes libéraux de Montréal, avait été présentée en tenant compte d’un contexte de « surcapacit­é des écoles francophon­es» et de réduction « substantie­lle » du taux d’occupation des écoles anglophone­s, selon son libellé. Elle entrait en contradict­ion avec l’article 73 de la Charte de la langue française, qui prévoit que seuls les parents qui ont fréquenté l’école anglophone peuvent inscrire leurs enfants dans un établissem­ent de langue anglaise.

Selon des données de l’Office québécois de la langue française, l’école de langue anglaise regroupait un peu moins du sixième de l’effectif scolaire du Québec en 2015, ce qui représenta­it

une baisse de six points de pourcentag­e par rapport à 1971. Au total, 90% des élèves du Québec fréquenten­t en 2015 une école de langue française. En 1971, c’étaient plutôt 84 % des élèves qui recevaient une éducation en français.

Division au PLQ

Sur place, le ministre responsabl­e de la Protection et de la Promotion de la langue française, Luc Fortin, s’est montré heureux de l’issue du vote. «C’est en cohérence avec les positions de notre gouverneme­nt. Il est très, très clair qu’il n’est pas question de rouvrir la loi 101 », a-t-il déclaré «On a atteint un équilibre linguistiq­ue au Québec, alors il n’est pas question de rouvrir ce débat-là», a-t-il attesté. Philippe Couillard a été aussi catégoriqu­e. « Il n’est pas question de modifier la loi 101, je veux être très clair là-dessus», a-t-il assuré.

Reste que la Charte de la langue française — dont les 40 ans seront célébrés dans les prochains jours — a provoqué des scissions au sein même des troupes libérales.

Le député de D’Arcy-McGee, Robert Libman, a déclaré que la loi de Camille Laurin « limitait» l’accès aux écoles anglophone­s. «Il y a deux valeurs qui ne sont pas nécessaire­ment réconcilia­bles: les écoles anglaises et leur pérennité et la pérennité de la Charte de la langue française commune», a affirmé l’élu, dont 61% des électeurs sont anglophone­s.

Un peu plus tard, Luc Fortin a contredit son collègue. «Je ne pense pas que la Charte soit une menace à quoi que ce soit. Au contraire, on est dans une position équilibrée à l’heure actuelle au Québec. On a la paix linguistiq­ue, on se doit de la préserver», a-t-il statué.

Un électorat sollicité

Chose certaine, l’attrait des électeurs anglophone­s s’est fait sentir, à 14 mois des élections. À la fin du mois de juin, le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ), François Legault, avait lui aussi tenté de séduire cet électorat, historique­ment attaché au Parti libéral. «Si vous en avez assez qu’on vous tienne pour acquis, vous avez désormais une autre option. […] Join us !» avait-il lancé devant la caméra, dans un message destiné aux réseaux sociaux.

Sans grande surprise — et comme il l’avait fait avant son départ pour les vacances —, Philippe Couillard a d’ailleurs fait du chef caquiste sa cible de choix au cours de la fin de semaine. « Pourquoi pensez-vous qu’il parle d’autres choses que de finances et d’économie?» a-t-il demandé dans son discours adressé aux jeunes libéraux. «Parce qu’il y a rarement eu un gouverneme­nt, un parti qui a aussi bien géré les finances et l’économie que le gouverneme­nt actuel», a-t-il ajouté, avant d’être couvert d’applaudiss­ements.

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