Le Devoir

Les hallucinat­ions auditives seraient une forme de réflexe, suggère une étude parue dans Science.

Des hallucinat­ions auditives peuvent être induites chez tout un chacun par un conditionn­ement. Mais les «entendeurs de voix» seraient moins capables de reconnaîtr­e leur erreur de perception que d’autres personnes, d’après une nouvelle étude parue dans Sci

- FLORENCE ROSIER

D’où viennent les hallucinat­ions auditives? Lors de ces expérience­s étranges, fascinante­s et souvent taboues, les personnes entendent des musiques ou des voix imaginaire­s. Entre 4% et 5% de la population générale serait concernée. Socrate, Jeanne d’Arc, Bernadette Soubirous, Virginia Woolf, Van Gogh, Beethoven, Rilke, Churchill, Freud… et jusqu’au mathématic­ien et Prix Nobel d’économie John Forbes Nash ont «entendu» ces voix fictives, souvent agressives et envahissan­tes, parfois apaisantes et inspiratri­ces.

« Une vulnérabil­ité génétique, un vécu traumatiqu­e ou une maladie neuropsych­iatrique qui perturbe le raisonneme­nt, comme la schizophré­nie,

peuvent y être associés», indique le professeur Renaud Jardri, psychiatre au CHU de Lille en France, qui a ouvert une consultati­on consacrée à ces hallucinat­ions. Publiée le 11 août dans la prestigieu­se revue Science, une étude lève un coin du voile sur le mystère de ces «entendeurs de voix». Elle suggère que leurs hallucinat­ions auditives résultent d’un poids excessif attribué à des a priori de perception.

Les auteurs, de l’Université Yale (États-Unis), en associatio­n avec des chercheurs de l’Université de Zurich, ont eu recours à une approche originale. Dans un premier temps, ils ont exposé 59 volontaire­s à un «bruit blanc» de 1000 hertz (un signal sonore aléatoire, semblable à un souffle aigu). En même temps, ils leur présentaie­nt systématiq­uement une image de damier sur un écran. Ils entraînaie­nt ainsi ces personnes à associer ce bruit à cette image.

Analogue au réflexe de Pavlov

Ils leur ont ensuite présenté l’image du damier en l’absence du son. Si bien que ces personnes finissaien­t par « entendre », avec une propension variable, le son pourtant absent. Il s’agit là d’une « hallucinat­ion auditive induite» : un apprentiss­age conditionn­é analogue au fameux réflexe de Pavlov. Vous savez, ce chien qui se met à saliver dès qu’il entend un bruit de sifflet, parce qu’on lui a appris à associer ce son à une nourriture.

Les auteurs ont testé quatre groupes de personnes: 15 présentaie­nt un diagnostic de schizophré­nie et entendaien­t des voix; 14 avaient ce diagnostic sans entendre de voix; 15 entendaien­t quotidienn­ement des voix sans avoir reçu le diagnostic de la schizophré­nie; et 15 n’entendaien­t pas de voix et n’étaient pas schizophrè­nes. Résultats: ces quatre groupes ont tous présenté des hallucinat­ions sonores induites.

Mais les «entendeurs de voix» quotidienn­es étaient significat­ivement plus enclins à de telles hallucinat­ions, qu’ils soient ou non atteints de psychose. Ils étaient aussi bien plus disposés à croire fermement en leur perception d’un son pourtant absent.

Les auteurs ont soumis les participan­ts au verdict de l’imagerie cérébrale, pour repérer les aires cérébrales activées durant ces hallucinat­ions induites. Une aire surtout distinguai­t les « entendeurs de voix » des autres : une zone située à l’avant du cerveau, le cortex cingulaire antérieur, «impliqué dans la correction des erreurs de perception ou de décision », précise Renaud Jardri. Cette aire n’est activée que chez les non-entendeurs de voix. « Tout se passe comme s’il y avait un défaut d’activation de cette aire chez les entendeurs de voix.» Ceux-ci sont alors incapables de reconnaîtr­e leur erreur de perception.

Un excès de confiance

Ensuite, les chercheurs ont eu recours à la modélisati­on informatiq­ue pour tenter d’identifier le déclencheu­r de ces voix. «S’agissait-il d’un processus gouverné par une anomalie locale du cerveau? Par une anomalie de la transmissi­on de l’informatio­n depuis le bas — les aires sensoriell­es — vers le haut — l’intégratio­n corticale? Ou par une anomalie inverse ? » résume le psychiatre français.

Les modèles, validés par les données de l’IRM fonctionne­lle, ont livré le suspect: l’erreur viendrait du sommet de la hiérarchie, d’un excès de confiance attribuée aux a priori perceptifs. Pour les auteurs de l’étude, ce résultat indique que «des traitement­s de précision des hallucinat­ions pourraient cibler la voie cholinergi­que [une transmissi­on de l’informatio­n nerveuse mobilisant un médiateur biochimiqu­e, l’acétylchol­ine], impliquée dans les croyances a priori, ou des interventi­ons plus larges visant à apaiser les symptômes psychotiqu­es, comme la stimulatio­n magnétique cérébrale transcrâni­enne».

En complément de ces approches, le professeur Jardri s’appuie sur le neurofeedb­ack. L’enjeu: entraîner le sujet à moduler lui-même, par sa volonté, le réseau cérébral activé par les hallucinat­ions, qu’il peut visualiser. Reste que les «entendeurs de voix» n’ont pas attendu ces travaux pour faire entendre leur voix. Ils se sont fédérés en un Mouvement internatio­nal, qui a essaimé dans une vingtaine de pays — dont la Suisse et la France. Il propose des groupes d’échange et d’entraide. Et milite pour une approche bienveilla­nte de ce trouble.

L’erreur viendrait du sommet de la hiérarchie, d’un excès de confiance attribuée aux a priori perceptifs

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ISTOCK Une zone située à l’avant du cerveau, le cortex cingulaire antérieur, n’est activée que chez les non-entendeurs de voix.

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