Le Devoir

Joute politique autour des demandeurs d’asile

Philippe Couillard ne compte pas réclamer la suspension de l’Entente sur les tiers pays sûrs

- SARAH R. CHAMPAGNE Avec Marie-Michèle Sioui

Le premier ministre Philippe Couillard ne compte pas réclamer la suspension de l’Entente sur les tiers pays sûrs. Une demande que le chef du Parti québécois, Jean-François Lisée, l’avait invité dimanche à formuler au gouverneme­nt fédéral.

Cette entente signée entre le Canada et les États-Unis est en vigueur depuis 2004. Elle prévoit que les réfugiés doivent présenter une demande dans le premier des deux pays où ils se trouvent. Un individu se présentant à un poste frontalier régulier en provenance des ÉtatsUnis pour revendique­r la protection du Canada sera ainsi immédiatem­ent refoulé. Or, cette entente ne s’applique pas à ceux qui traversent la frontière de manière irrégulièr­e, d’où l’affluence sur le chemin Roxham depuis la fin 2016.

Dans une lettre adressée au premier ministre Justin Trudeau, M. Lisée a ainsi appelé à la suspension de cette entente, arguant que «son maintien entraîne des conséquenc­es indignes » en matière d’accueil des réfugiés. Une fois ce pas franchi, «les demandeurs d’asile pourront être légalement reçus aux postes frontalier­s officiels», décrit-il ensuite. Il demande à Philippe Couillard «d’appuyer sa démarche », demande déjà énoncée en conférence de presse jeudi dernier.

Celui-ci a rétorqué quelques heures plus tard que ce n’était «pas une bonne idée». Il estime qu’un tel geste aurait des « conséquenc­es diplomatiq­ues majeures». Puisque le Canada ne reconnaît que les ÉtatsUnis en tant que tiers pays sûr, il ne pourrait le déclarer ex cathedra sans en subir le revers, avance le premier ministre.

«On est une terre d’accueil, une terre de compassion […] mais le parcours qui mène au statut de réfugié n’est pas un parcours facile ni confortabl­e», a-t-il ensuite ajouté.

Désinforma­tion

Le premier ministre affirmait samedi qu’il est «malheureux» de faire croire aux demandeurs d’asile que l’acceptatio­n au Canada est un « fait accompli ».

En 2016, 207 des 416 demandes d’asile formulées par des Haïtiens au Québec ont été refusées. Une donnée reprise par M. Lisée dans sa lettre à Justin Trudeau, où il déplore que « leur migration aura donc été vaine ».

« Il semble y avoir une espèce de... Je ne sais pas si on peut appeler ça une propagande, sur la capacité d’obtenir un statut », a aussi ajouté le président du Conseil du trésor, Pierre Moreau.

Plus tôt la semaine dernière, le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, s’inquiétait des arrivées de demandeurs d’asile. Il s’en était pris sur Facebook au discours politique officiel qualifié « d’irresponsa­ble », décrivant la frontière canado-américaine comme une «passoire».

Les trois chefs de parti semblent cependant s’accorder sur l’impératif d’envoyer un message clair, notamment à la communauté haïtienne vivant aux États-Unis.

Le premier ministre Couillard a insisté sur l’urgence de «présenter un portrait réel de la situation», at-il affirmé samedi lors du congrès des jeunes libéraux.

Il s’est dit «tout à fait prêt » à livrer ce message lui-même, par des inter ventions dans les stations de radio des États-Unis.

Le ministre fédéral des Transports, Marc Garneau, s’est quant à lui rendu dimanche à la frontière dans la zone de Saint-Bernard-de-Lacolle. Il a rappelé que le « Canada a une politique en place depuis des décennies » qui comporte des critères d’admission établis.

Les mêmes critères que son chef, Justin Trudeau, énonçait sur Twitter en janvier dernier pour répondre aux nouvelles politiques migratoire­s restrictiv­es de Trump: «À ceux qui fuient la persécutio­n, la terreur et la guerre, sachez que le Canada vous accueiller­a…» Le ministre Garneau n’a pas abordé la question de l’entente.

Une contestati­on judiciaire de l’Entente sur les tiers pays sûrs a été lancée au début juillet par le Conseil canadien pour les réfugiés (CCR), Amnesty Internatio­nal et le Conseil canadien des églises. Les trois organismes plaident notamment que les États-Unis ne sont pas un «pays sûr», et que les réfugiés s’y exposent à « de graves violations de leurs droits fondamenta­ux», écrivait le CCR lors du lancement de cette contestati­on.

M. Lisée a appelé à la suspension de cette entente, arguant que « son maintien entraîne des conséquenc­es indignes »

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