Le Devoir

Réussir la transition

Paul Kagame réélu au Rwanda avec un score invraisemb­lable de 99%, fracture politico-ethnique au Kenya autour de l’élection présidenti­elle, gouverneme­nt sud-africain de Jacob Zuma empêtré dans des scandales de corruption qui sont en train de couler l’ANC:

- GUY TAILLEFER

Transition plurielle, mais décisiveme­nt démographi­que. L’humanité s’exposera à une tragédie humaine de grande ampleur si cette transition n’est pas accompagné­e de solides politiques publiques de développem­ent. On en est malheureus­ement encore loin. En un mot comme en mille, le président français, Emmanuel Macron, a mis les pieds dans le plat quand il a déclaré, début juillet en marge du sommet du G20 à Hambourg, qu’il ne servait à rien de dépenser « des milliards d’euros […] quand des pays ont encore sept à huit enfants par femme». Pour surmonter les «tourments» de l’Afrique, il faut au contraire que les population­s en général et les femmes en particulie­r aient accès à l’éducation et aux soins de santé et que leur soient données des perspectiv­es d’avenir. Cela demande des investisse­ments. L’Occident n’a pas progressé autrement.

Les enjeux sont d’autant plus planétaire­s qu’en 2100, 40% de l’humanité sera africaine et que, donnée plus éloquente encore, un Terrien sur trois âgé de 15 à 29 ans vivra en Afrique en 2050, selon un rapport onusien publié en juin (Perspectiv­es de la population mondiale, la révision de 2017) et que Le Monde a récemment épluché. En 2100, l’Afrique — avec 4,5 milliards d’habitants — aura quasiment rejoint l’Asie, dont la proportion de la population planétaire aura chuté de 60% à 43 %, essentiell­ement pour cause du ralentisse­ment de la démographi­e chinoise.

Il se trouve que l’Afrique est toujours dans une phase intermédia­ire de transition démographi­que (taux de mortalité en baisse conjugué à des taux de fécondité toujours importants). Encore que la situation n’est pas partout pareille sur le continent. L’Europe et l’Amérique du Nord ont achevé cette transition (moins de décès et moins de naissances), alors que nous faisons face aujourd’hui au phénomène massif du vieillisse­ment de la population.

Si la réussite de sa transition passe en Afrique par une améliorati­on des conditions de vie et une plus grande scolarité, on ne peut pas dire que les gouverneme­nts nationaux et la communauté internatio­nale s’attaquent à ces défis avec beaucoup de déterminat­ion. Certes, il y a eu embellie dans l’horizon de croissance de l’économie continenta­le; les «décennies perdues» des années 1980 et 1990 semblent vouloir être du passé, même si les avancées obtenues depuis dix ans demeurent fragiles et inégales.

Le tiers des 54 pays africains atteignent désormais un « niveau de développem­ent moyen ou élevé», indique un récent rapport de la Banque africaine de développem­ent (BAD). Il y a bien «montée en puissance » de la classe moyenne, évaluée à 350 millions de personnes (sur une population totale actuelle de 1,2 milliard) «dont le pouvoir d’achat s’améliore constammen­t», indique le rapport, mais dans un contexte global d’inégalité où 550 millions d’Africains vivent toujours dans la pauvreté et où la moitié des jeunes sont sans emploi.

Par améliorati­on des conditions de vie, il faut aussi entendre, très concrèteme­nt, améliorati­on des infrastruc­tures. La performanc­e des gouverneme­nts nationaux est à ce titre scandaleus­ement mauvaise. Une autre étude — de la Banque mondiale — constate le «sous-équipement chronique» de l’Afrique subsaharie­nne à ce chapitre, épinglant une «corruption omniprésen­te conjuguée à une absence de responsabi­lisation» des autorités. La distributi­on de l’électricit­é ne s’est pas améliorée depuis 20 ans : seulement 35% de la population y a accès, dit le rapport. Autant de facteurs de paupérisat­ion et d’exclusion, alors que s’aiguisent les enjeux de développem­ent liés à l’urbanisati­on et au réchauffem­ent climatique.

Les défis auxquels l’Afrique fait face reposent sur des dynamiques spécifique­s, en même temps qu’ils sont en partie ceux de toute la planète, à commencer par celui qui touche au fléau de la kleptomani­e des élites. L’instabilit­é politique (RDC, Afrique du Sud, Kenya, etc.) est un symptôme de cette kleptomani­e. Sans renforceme­nt de l’État de droit et de l’aide internatio­nale, sans conscience accrue du bien commun, la réussite du passage que vit l’Afrique avec ce boom démographi­que sera compromise.

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