Le Devoir

Survivre à la partition des Indes

Les 14 et 15 août 1947, la plus grande colonie britanniqu­e a été divisée en deux

- MARIAM S. PAL Fille d’un survivant de la partition des Indes de 1947, Montréal

Au cours de la dernière semaine, la présence de centaines de demandeurs d’asile qui traversent le Québec depuis les États-Unis a suscité des inquiétude­s laissant croire à une crise imminente. Mais imaginez un instant devoir s’occuper de 15 millions de réfugiés.

Ce fut pourtant le cas, il y a soixante-dix ans, lorsque le Pakistan et l’Inde furent créés à partir de l’Inde britanniqu­e. Les 14 et 15 août 1947, la plus grande colonie d’Angleterre a été divisée en deux parties: l’Inde, pour les hindous et les sikhs, et le Pakistan pour les musulmans.

Sous le soleil torride du mois d’août, des millions de personnes se sont déplacées entre l’Inde et le Pakistan dans une atmosphère de chaos, de violence et de brutalité. Cet événement, maintenant largement reconnu comme étant la migration la plus importante dans l’histoire humaine, est connu sous le nom de partition des Indes.

Beaucoup de Québécois n’ont jamais entendu parler de cette partition. Moins encore se rendent compte que les survivants de cette tragédie, et leurs descendant­s, vivent maintenant au Québec. Mon défunt père, Izzud-Din Pal, est arrivé à Montréal le 6 août 1955, près de huit ans après le jour où sa famille et lui ont fui leur maison en Inde pour plus de sécurité au Pakistan.

Ma famille musulmane avait vécu dans la ville sainte sikhe d’Amritsar depuis des génération­s et voulait y demeurer après la partition.

En juin 1947, les émeutes entre sikhs et musulmans à Amritsar s’étaient intensifié­es. Amritsar était sous les flammes. Des bandes d’hindous, de sikhs ou de musulmans ont attaqué des trains qui arrivaient à la gare de Lahore ou d’Amritsar, chargés de cadavres. Les mots « Un cadeau de l’Inde » ou «Un présent du Pakistan» étaient souvent grossièrem­ent inscrits à la craie sur le côté des wagons.

Au fur et à mesure que la violence a augmenté, mon grand-père a décidé que la famille devait être prête à fuir à Lahore, à seulement 20 milles de là, et qui allait bientôt faire partie du Pakistan. Mon père, déjà étudiant à Lahore, loua une maison dans un quartier musulman. Un de mes oncles se rendit à Lahore avec des sacs de riz et de lentilles, les bijoux de ma grandmère cachés dans le fond des sacs. Ils avaient de la nourriture et de l’argent.

Fuite

Dans la nuit du 8 août 1947, un ami sikh a dit à ma famille de quitter Amritsar dès que possible. Au lever du jour, ils sont allés à la gare. Mon grand-père et mes grands-oncles devaient les rejoindre à Lahore quelques jours plus tard.

Étant onze personnes au total, ils ont embarqué dans le train pour Lahore. Tout ce qu’ils avaient était de l’eau. Pas de nourriture. Ils ont tout laissé derrière eux. Le séjour à Lahore ne devait être que temporaire.

Lors de cette journée chaude et poussiéreu­se, assis sur des bancs de bois dur dans la section de troisième classe du train, mon père se demandait s’ils allaient arriver à Lahore en vie. Le trajet était de seulement 35 minutes. Tant de trains avaient été attaqués.

Trois heures plus tard, ils sont arrivés à Lahore. Leur train fut le seul train d’Amritsar vers Lahore qui ne fut pas victime d’une embuscade ce jour-là.

Mon père est allé à la gare tous les jours pour tenter de chercher son père et ses oncles. Il a vu des wagons remplis de cadavres, qui pourrissai­ent sous la chaleur de la saison de la mousson. Plusieurs jours plus tard, ceux-ci sont finalement arrivés à la maison louée. Ma famille était en sécurité.

Les Pal ne sont jamais revenus à Amritsar. À mesure que le temps passait et que la violence continuait, ils se rendirent compte qu’ils ne pourraient plus jamais revenir en arrière.

Un million de personnes sont mortes et des milliers ont été blessées lors de la partition. La violence faite envers les femmes fut particuliè­rement horrible. Ceux qui avaient du sang sur les mains n’ont jamais fait face à la justice. Aucun monument en mémoire des victimes de la partition ne fut érigé, même 70 ans plus tard.

Des milliers de Québécois d’origine indienne et pakistanai­se ont migré ici du Punjab, à l’épicentre de la violence de la partition. Tout comme l’holocauste ou le génocide arménien, la partition des Indes est une tragédie pourtant intimement liée au Québec par l’entremise de ceux qui ont fait de cette province leur nouvelle maison.

Les 14 et 15 août, pour le 70e anniversai­re de la partition des Indes, tous les Québécois se souviennen­t de cette tragédie.

La partition des Indes est une tragédie pourtant intimement liée au Québec par l’entremise de ceux qui ont fait de cette province leur nouvelle maison

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