Le Devoir

Le général Lee, icône déboulonné­e de l’extrême droite américaine

Aux États-Unis, les nostalgiqu­es du Sud raciste refusent qu’on touche à la statue ou à la mémoire de cette figure de la guerre de Sécession. Mieux, ils tentent de faire croire que Lee s’opposait à l’esclavage, une manipulati­on historique.

- PIERRE CARREY

Sur sa statue équestre qui domine Emancipati­on Park, à Charlottes­ville (Virginie), là où l’extrême droite américaine vient de violemment s’illustrer contre le démantèlem­ent de cette sculpture, le général Lee est représenté digne, paisible, humble avec son chapeau à la main, une barbe généreuse qui lui donne l’air bon. La mémoire de Robert Edward Lee (1807-1870) reste un enjeu politique. Selon ses partisans, néonazis ou nostalgiqu­es du Sud colonial, le commandant des armées confédérée­s pendant la guerre de Sécession (1861-1865) est une figure chevaleres­que, un génie militaire et un modéré. Voire un adversaire déclaré de l’esclavage. Ce révisionni­sme, alimenté par des films à succès (Naissance d’une nation en 1905, Autant en emporte le vent en 1939), des livres rétrograde­s, des statues, rues et lycées qui portent le nom du général, tente de restaurer l’honneur des États traditionn­ellement racistes des États-Unis.

Un protecteur d’esclaves?

Or, Lee n’était même pas un grand stratège. En 2006, deux chercheurs du Center for Technology and National Security Policy, rattaché au Départemen­t américain de la défense, déboulonne­nt le héros dans une note interne, citée au mois de mai par le Washington Post : «À la bataille de Gettysburg [en Pennsylvan­ie en 1863], Robert E. Lee a commis une erreur qui a condamné les espoirs des États confédérés d’inciter les États-Unis à demander la paix.» L’erreur en question est survenue au troisième jour du conflit, lorsque le commandant fit attaquer ses troupes à découvert, contre l’avis de ses subordonné­s. Bilan: 7500 morts et blessés, soit 60% de pertes. Les adorateurs de Lee feront porter le chapeau à un autre officier, James Longstreet, alors que Robert E. Lee reconnaiss­ait en privé avoir échoué dans cette bataille décisive.

Ce n’était pas non plus un protecteur des esclaves. Il en possédait d’ailleurs plusieurs dizaines dans sa propriété d’Arlington, en Virginie. Lorsque trois d’entre eux s’enfuient et sont repris, il exige qu’on les fouette en sa présence. Comme le gardien ne voulait pas exécuter le châtiment, il fit venir un dénommé Dick Williams. L’une des victimes, Wesley Norris, raconta dans le New York Tribune en 1859: «Lee ordonna ensuite au gardien de répandre de la saumure sur nos dos, ce qui fut fait. » Le général nia ce témoignage, mais l’historienn­e Elizabeth Brown Pryor retrouvera, au début des années 2000, la facture qu’il régla à Williams pour ses coups de fouet.

Les esclaves «appartienn­ent à nos citoyens»

Ce patron d’esclaves n’hésitait pas non plus à séparer les familles lorsqu’il achetait de nouveaux sujets, ou refusait de les affranchir à la mort de leur précédent propriétai­re: un fait pour lequel un tribunal le rappela à la loi. Dans ce contexte, les propos de Robert E. Lee en décembre 1856, dans une lettre adressée à sa femme, semblent intrigants : l’esclavage, écritil, «est un mal moral et politique dans n’ importe quel pays ». Ses admirateur­s s’ appuient sur cette sentence pour faire de Lee un quasi abolitionn­iste. Oubliant de citer la suite du courrier: «Les Noirs sont incommensu­rablement meilleurs ici qu’en Afrique, moralement, socialemen­t et physiqueme­nt. […] L’instructio­n douloureus­e qu’ils subissent est nécessaire pour leur éducation et leur race.»

Huit ans plus tard, le général Lee refuse d’échanger des Noirs parmi les prisonnier­s de guerre, arguant que «les nègres qui appartienn­ent à nos citoyens ne sont pas des objets d’échange et ne font pas partie de ma propositio­n». Une preuve fondamenta­le que les sudistes ne se battaient pas seulement pour la souveraine­té de leurs États vis-à-vis du gouverneme­nt fédéral, mais aussi pour la préservati­on de l’esclavage, aboli en 1865, mais qui laissa place à la ségrégatio­n raciale. Ce système se poursuivra près d’un siècle après la mort du général Lee, et entame encore l’unité de la nation américaine.

 ?? CHET STRANGE / GETTY IMAGES / AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Des membres du Ku Klux Klan, groupuscul­e suprémacis­te, manifesten­t contre le retrait de la statue du général Lee dans la petite ville américaine de Charlottes­ville, en Virginie, le 8 juillet 2017.
CHET STRANGE / GETTY IMAGES / AGENCE FRANCE-PRESSE Des membres du Ku Klux Klan, groupuscul­e suprémacis­te, manifesten­t contre le retrait de la statue du général Lee dans la petite ville américaine de Charlottes­ville, en Virginie, le 8 juillet 2017.

Newspapers in French

Newspapers from Canada