Après Usain Bolt, l’athlétisme a peur du vide
Une page s’est refermée samedi avec la retraite de la légende du sprint Usain Bolt, et l’athlétisme, toujours englué dans des scandales de dopage et de corruption, est désormais à la recherche d’une nouvelle tête de gondole et d’une meilleure organisation de ses compétitions pour captiver le grand public.
Avec le départ de la superstar jamaïcaine, le premier sport olympique perd plus qu’un coureur d’exception. Il y a bien sûr les records et le palmarès sidérant de l’homme le plus rapide de l’histoire (9 sec 58 sur 100m, 19 sec 19 sur 200m), mais c’est surtout sa capacité à soulever les foules et à intéresser au-delà du cercle des initiés qui risque de lui faire défaut.
«Occuper l’espace»
Une situation dont a parfaitement conscience le président de la Fédération internationale (IAAF), Sebastian Coe.
«Ce qui va nous manquer, c’est sa personnalité, a ainsi estimé l’ancien double champion olympique du 1500m. Nous voulons des athlètes avec de la personnalité. C’est plus sympa d’avoir quelqu’un qui a un point de vue et arrive à remplir un stade. On a trop d’athlètes formatés qui regardent à droite et à gauche et sont nerveux avant d’oser répondre à une question. Bolt avait une opinion et des choses à dire, et c’est cela qui va le plus nous manquer.»
Selon l’économiste du sport Vincent Chaudel, interrogé par l’AFP, le danger c’est en effet de ne pas voir émerger d’athlètes «capables d’occuper l’espace» comme Bolt.
«On n’a pas nécessairement trouvé des gens qui se sont investis sur les codes de communication d’aujourd’hui. Donc le risque c’est d’avoir un vide de performance et de buzz », a-t-il expliqué.
Bolt reste un cas unique, et les Mondiaux-2017 n’ont pas spécialement mis en lumière de champions avec le même charisme et la même aura, susceptible d’endosser le rôle de porte-drapeau de l’athlétisme.
L’IAAF misait beaucoup sur le Sud-Africain Wayde Van Niekerk, mais son échec dans la quête du doublé 200-400m, seulement réussi par l’Américain Michael Johnson (Mondiaux-1995 et JO-1996), l’a empêché d’être le grand gagnant des Championnats du monde. Et il s’est même fait voler la vedette par le Botswanais Isaac Makwala, devenu le chouchou des spectateurs après avoir été privé de la finale du 400m et avoir été repêché in extremis sur le 200m en raison d’une épidémie de gastro-entérite.
La série de Makwala sur le demi-tour de piste, disputée seul, et ses pompes à l’arrivée en forme de défi, ont enflammé le Stade olympique. Pas Van Niekerk, pourtant vainqueur du 400m et 2e du 200m, mais apparu trop froid pour enthousiasmer le public.
Vieux démons
L’enjeu est d’importance pour un sport qui doit restaurer une image sérieusement écornée ces dernières années par les affaires de corruption et de dopage, ayant notamment abouti à la suspension de la Russie en novembre 2015. Le succès sous les huées du repenti Justin Gatlin, suspendu à deux reprises dans sa carrière et qui a gâché les adieux de Bolt sur 100 m, a démontré que l’athlétisme n’en avait pas fini avec ses vieux démons. Sebastian Coe lui-même n’a pas caché que ce dénouement n’était pas «le scénario idéal», réitérant son souhait de voir mises en place des radiations à vie.
Le salut de l’athlétisme passe aussi par une refonte d’un calendrier illisible pour l’amateur de sport, en dehors des grands Championnats et des JO, voire du format des compétitions. La création en 1998 d’un circuit d’élite, la Golden League, transformée en Diamond League en 2010, était censée y remédier. Mais rien n’oblige un athlète de renom à y participer, et les plateaux varient trop souvent d’un évènement à l’autre.
C’est l’un des chantiers immédiats de Coe, qui a favorablement accueilli la première édition, début 2017, des Nitro Athletics, un rendez-vous par équipes comprenant des épreuves originales comme des relais en demi-fond et sur les haies.