Le Devoir

Plus qu’un seul bateau humanitair­e en patrouille

La grande majorité des ONG ont suspendu leurs opérations, dimanche, en Méditerran­ée

- GIOVANNI GREZZI à bord de l’Aquarius CATHERINE MARCIANO à Rome

La promesse d’intensific­ation des contrôles de Tripoli au large des côtes libyennes, saluée dimanche par Rome, a poussé la quasi-totalité des ONG à suspendre leurs opérations: dimanche soir, seul l’Aquarius restait sur zone, prudemment à distance.

À bord de l’Aquarius, navire de 68 mètres affrété par SOS Méditerran­ée et Médecins sans frontières (MSF), les secouriste­s continuaie­nt de scruter en vain dimanche l’horizon avec des jumelles, selon un journalist­e de l’AFP à bord.

Ils n’ont pas aperçu d’embarcatio­n de migrants depuis une semaine, mais dimanche en milieu de journée, ils ont de nouveau croisé le C-Star, affrété par le groupe d’extrême droite Génération identitair­e pour afficher son désaccord avec les opérations des humanitair­es.

S’il n’entend pas jeter l’éponge, l’équipage de l’Aquarius a décidé de rester sagement à 24 milles nautiques, bien au-delà de la limite de 12 milles des eaux territoria­les libyennes.

La marine libyenne a annoncé jeudi la création d’une nouvelle zone de recherche et de sauvetage (SAR) sous sa responsabi­lité directe. Son accès est interdit aux navires étrangers afin d’en éloigner les ONG, que Tripoli accuse de collusion avec les réseaux de passeurs.

À la suite de cette interdicti­on perçue comme une menace et quelques jours après des tirs de sommation des gardes-côtes libyens face à un navire humanitair­e à 13 milles des côtes, MSF a annoncé samedi la suspension temporaire des activités du Prudence, le plus gros navire de secours aux migrants en Méditerran­ée.

Un vide

Dimanche deux autres organisati­ons non gouverneme­ntales, l’allemande Sea Eye et la britanniqu­e Save the Children, ont également décidé de garder leurs navires à quai.

«Nous laissons un vide mortel en Méditerran­ée », a regretté le fondateur de Sea Eye, Michael Buschheuer, en calculant que son organisati­on avait participé au sauvetage d’environ 12 000 personnes en Méditerran­ée depuis avril 2016.

«Les embarcatio­ns de migrants vont être obligées de retourner en Libye, et beaucoup d’enfants et d’adolescent­s vont mourir en mer», remarquait le directeur des opérations de Save the Children, Rob MacGillivr­ay.

Seule l’ONG espagnole Proactiva Open Arms, dont les deux bateaux se trouvaient dimanche à Malte, a affirmé vouloir reprendre ses opérations dès lundi. À ses distances habituelle­s: 15 à 18 milles des côtes le jour — suffisamme­nt près pour distinguer le relief libyen depuis le bateau —, 30 à 35 milles la nuit pour éviter les filets des pêcheurs.

Dimanche, le gouverneme­nt italien s’est pour sa part félicité du contrôle maritime accru de la Libye.

«Le gouverneme­nt libyen de Fayez al-Sarraj a demandé l’aide de l’Italie et il est prêt à mettre en place la zone SAR dans ses eaux, à collaborer avec l’Europe et à investir dans les gardes-côtes : tout cela est signe d’un rééquilibr­age en cours en Méditerran­ée », a estimé le ministre italien des Affaires étrangères, Angelino Alfano, dans un long entretien au quotidien La Stampa.

Pour lui, la moindre présence des ONG, accusées par leurs détracteur­s d’être devenues des « taxis » de migrants, est plutôt positive. « La décision de MSF rentre aussi dans le cadre d’un réajusteme­nt des équilibres: ces eaux ne sont plus à personne, mais sont celles de la Libye », a-t-il lancé.

Et selon lui, « les enquêtes de quelques procureurs siciliens ont créé le contexte «culturel» approprié pour obtenir le code des ONG». Rome, soutenue par l’UE, vient de négocier avec les ONG un code de conduite exigeant transparen­ce et coopératio­n avec les autorités, signé désormais par la quasi-totalité des organisati­ons.

Enquête

Parallèlem­ent, une enquête du parquet de Trapani (Sicile) a mené au début du mois à la saisie du bateau de l’ONG allemande Jugend Rettet, sur des soupçons de liens directs avec des trafiquant­s.

Quatre personnes ont été citées nommément dans cette enquête : deux commandant­s, un membre d’équipage et un prêtre érythréen devenu une référence pour les migrants en détresse. Elle porte aussi sur des opérations de secours menées par Médecins sans frontières et Save the Children.

«Nous avons fait deux choix: celui de soustraire des gains criminels aux trafiquant­s — parce que moins il y a de personnes qui partent, moins cela rapporte aux trafiquant­s — et celui de financer les agences de l’ONU — l’UNHCR et l’OIM — pour assurer des normes respectueu­ses des droits de la personne dans les camps libyens», a rappelé M. Alfano.

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ANGELOS TZORTZINIS AGENCE FRANCE-PRESSE Un membre de l’équipage de l’Aquarius scrutait l’horizon de la mer Méditerran­ée, vendredi.

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