Un conflit ethnique ou une lutte sociale ?
L’opposant Raila Odinga semble être massivement soutenu par la jeunesse défavorisée, déçue par le premier mandat du président Kenyatta
Il a renoncé au recours judiciaire après sa quatrième défaite à la présidentielle, le 8 août, et s’en est remis à la rue. Le scrutin est sans appel: 54,3 % des voix pour l’Alliance Jubilee du dirigeant sortant, contre 44,7 % pour l’opposition. Mais Raila Odinga persiste, malgré la répression dont ses partisans font l’objet, et a appelé la population à ne pas se rendre au travail lundi.
Exaspération
Les observateurs internationaux ont pourtant reconnu unanimement la validité des scrutins de ces élections générales (présidentielle, parlementaires, et locales). Mais la contestation des résultats par Odinga a provoqué des manifestations dans les bidonvilles de Kibera et Mathare et dans la ville de Kisumu, bastions de l’opposition. Les violences ont déjà fait au moins 24 morts (une centaine selon les opposants), les forces de l’ordre ayant utilisé des balles réelles pour disperser la foule.
Des membres de la coalition d’Odinga (la Super Alliance nationale) ont pourtant arpenté les rues, appelant au calme parmi leurs militants. Mais Benoît Hazard, anthropologue au CNRS, estime que «l’opposition a multiplié les erreurs depuis les élections et la parution des résultats» en dénonçant un scrutin sans apporter de preuves des éventuelles fraudes et en misant sur la population pour revendiquer la victoire. «Odinga est aussi responsable des morts que les autorités », ajoute-t-il.
Pourtant, après l’assassinat en juillet du numéro 2 de la commission électorale, Christopher Msando, qui représentait une figure consensuelle entre les deux principaux partis, il était impossible pour l’opposition d’accorder du crédit à l’organisme et d’entériner les résultats du scrutin. D’autant plus que les sondages laissaient entrevoir un scrutin incertain. L’écart final important entre les deux candidats a contribué à jeter un peu plus le doute sur le résultat.
Rompre avec la gouvernance libérale
L’exaspération sociale, accentuée par la hausse des prix des denrées alimentaires, avait reporté une frange de l’électorat (dévolue antérieurement à Kenyatta) sur le parti de l’opposition. À la différence des élections passées, «le scrutin s’est fondé davantage sur un clivage social que sur de l’antagonisme ethnique », affirme Benoît Hazard. La jeunesse, qui avait voté massivement pour Kenyatta en 2013, s’est cette fois fortement mobilisée en faveur de l’opposition. Les quartiers populaires aussi. Le vote était motivé par une volonté de rompre avec les cinq dernières années de gouvernance libérale de Kenyatta, qui ont encore fragilisé les plus démunis.
Reste à savoir si la virulente contestation d’Odinga n’est pas destinée, in fine, à faire pression pour participer au nouveau pouvoir. «S’il choisit d’intégrer le futur gouvernement, ce serait un désaveu de son programme de justice pour le pays, relativise Benoît Hazard. Kenyatta, jugé inféodé au milieu des affaires par l’opposition, est honni.»
D’autant plus que les deux hommes représentent des visions différentes du développement du pays. Celle de Kenyatta est basée sur l’industrialisation massive, alors que le programme d’Odinga soutient des objectifs plus sociaux. Malgré ces divergences, Kenyatta devrait être obligé de «s’allier à l’opposition», car le renouvellement « des élus locaux ne devrait lui octroyer qu’un pouvoir relatif », estime le chercheur du CNRS.