Le Devoir

Freeland expose les priorités canadienne­s

La ministre des Affaires étrangères se prépare à vivre des « moments dramatique­s »

- KARL RETTINO-PARAZELLI

Prête à vivre des «moments dramatique­s» au cours des prochains mois, la ministre fédérale des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a martelé lundi que le Canada défendrait la gestion de l’offre et le mécanisme de règlement des différends dans le cadre de la renégociat­ion de l’ALENA, tout en réclamant la modernisat­ion de l’accord au chapitre de l’environnem­ent et des normes du travail.

En présentant les priorités du gouverneme­nt Trudeau en vue de la renégociat­ion de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), qui s’ouvrira mercredi à Washington, la ministre Freeland a mis la table pour des affronteme­nts qui s’annoncent musclés.

Ottawa a d’abord réaffirmé lundi son intention de défendre le système de gestion de l’offre, qui encadre la production de lait, d’oeufs et de volaille, alors que le gouverneme­nt Trump s’y est attaqué dans sa liste

d’objectifs publiée le mois dernier.

Un chapitre à conserver

Autre point litigieux, le gouverneme­nt Trudeau veut conserver le chapitre 19 encadrant le mécanisme de règlement des différends liés aux droits antidumpin­g et compensate­urs, lequel a bien servi le Canada au fil des ans dans le dossier du bois d’oeuvre. À l’inverse, le retrait du chapitre 19 figure parmi les objectifs les plus clairement exprimés par le gouverneme­nt américain.

Dans un discours prononcé lundi matin à l’Université d’Ottawa, Mme Freeland a rappelé qu’un représenta­nt du Canada lors des négociatio­ns de la première version de l’ALENA avait quitté la table lorsque les Américains avaient initialeme­nt refusé d’inclure ce mécanisme de révision dans l’accord. « Notre gouverneme­nt sera tout aussi déterminé», a-t-elle précisé.

En ce qui concerne le chapitre 11, qui permet à une entreprise de poursuivre un État si elle estime qu’une loi ou un règlement nuit à la conduite de ses affaires, le gouverneme­nt canadien souhaite qu’il soit modifié, mais pas éliminé.

Environnem­ent et droit du travail

Le gouverneme­nt Trudeau se présentera par ailleurs à la table de négociatio­n avec des demandes bien à lui. Il souhaite que l’ALENA renégocié contienne un chapitre sur les normes du travail et un autre sur la protection de l’environnem­ent, deux enjeux qui font actuelleme­nt l’objet d’accords parallèles.

Ottawa veut également accroître la libéralisa­tion des marchés publics et faciliter la circulatio­n des profession­nels en revoyant le chapitre qui porte sur l’admission temporaire des gens d’affaires.

Les négociateu­rs canadiens réclameron­t finalement l’inclusion de nouveaux chapitres sur l’égalité entre les sexes et les autochtone­s, et promettent de défendre l’« exception culturelle ».

«Ces négociatio­ns sont lourdes de conséquenc­es. Nous allons peut-être vivre des moments dramatique­s, a déclaré lundi la ministre Freeland. Cependant, je suis foncièreme­nt optimiste quant au résultat final.»

L’opposition reste sur faim

À Ottawa, les partis d’opposition sont sortis déçus de leur rencontre avec la ministre Freeland. À leur avis, le gouverneme­nt Trudeau n’a pas fourni suffisamme­nt de détails sur ses intentions.

«Rien n’a été dit ce matin pour convaincre la communauté d’affaires canadienne que la ministre Freeland a un plan de match clair et une idée des objectifs qu’elle souhaite atteindre», a déploré le conservate­ur Randy Hoback.

«Est-ce que le gouverneme­nt a établi des lignes à ne pas dépasser ? On ne le sait pas », a renchéri son collègue Gerry Ritz.

Du côté du NPD, la porte-parole en matière de commerce internatio­nal, Tracey Ramsey, estime que l’exposé de Chrystia Freeland n’a fourni qu’un « aperçu » des positions que le gouverneme­nt Trudeau défendra à partir de mercredi.

Elle aurait par exemple voulu que la ministre écarte toute brèche supplément­aire dans le système canadien de gestion de l’offre, alors que la principale intéressée s’est contentée de souligner l’importance de ce mécanisme de manière générale.

Se garder des munitions

Le professeur de l’Université d’Ottawa Patrick Leblond, qui se spécialise en commerce internatio­nal, estime que, si le gouverneme­nt Trudeau n’en dit pas trop, c’est qu’il se garde des munitions pour la négociatio­n.

«Je pense que le Canada va aussi loin qu’il le peut en mettant la table. Pour la suite, ça va dépendre de ce que les Américains vont décider, eux aussi, de mettre sur la table, dit-il. Mme Freeland est même allée plus loin que ce à quoi je m’attendais.»

Sur le fond, il croit qu’Ottawa pourrait accepter d’ouvrir une brèche dans le marché canadien des produits sous gestion de l’offre en s’inspirant de ce qui avait été conclu dans le cadre du Partenaria­t transpacif­ique. Puisque cet accord commercial, rejeté par le président Trump, n’est jamais entré en vigueur, le gouverneme­nt Trudeau pourrait simplement utiliser la brèche inexploité­e dans le cadre de la renégociat­ion de l’ALENA.

Le Mexique comme allié ?

En ce qui concerne le chapitre 19, M. Leblond fait remarquer que la confrontat­ion entre les négociateu­rs canadiens et américains pourrait être moins brutale qu’on pourrait le croire.

«On tient beaucoup plus au chapitre 19 que les Américains tiennent à l’éliminer », juge-t-il.

Dans une note publiée lundi, l’économiste de la Banque TD Brian DePratto a pour sa part indiqué que le Mexique, qui appuie le maintien du chapitre 19, pourrait devenir l’allié du Canada dans cet important dossier.

Le professeur Leblond s’interroge par ailleurs sur la volonté du Canada d’accroître la mobilité des gens d’affaires. Les représenta­nts américains pourraient accueillir cette propositio­n avec méfiance, prédit-il, compte tenu des positions du gouverneme­nt Trump au sujet de l’immigratio­n.

 ?? SEAN KILPATRICK LA PRESSE CANADIENNE ?? La ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, prépare la renégociat­ion de l’ALENA avec les États-Unis et le Mexique.
SEAN KILPATRICK LA PRESSE CANADIENNE La ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, prépare la renégociat­ion de l’ALENA avec les États-Unis et le Mexique.

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