Décès de Daisy Sweeney, professeure de piano d’une génération
La Montréalaise aura enseigné à son frère Oscar Peterson, à Oliver Jones et à quelque 2000 jeunes
La musicienne Daisy Sweeney, qui a entre autres enseigné le piano classique à son frère Oscar Peterson ainsi qu’à Oliver Jones, est décédée vendredi à l’âge vénérable de 97 ans. Mais les deux pianistes émérites ne représentent que la partie émergée d’un travail musical et social colossal auprès de jeunes des quartiers SaintHenri et Notre-Dame-de-Grâce.
Musicienne douée mais peu intéressée par les projecteurs, Daisy Sweeney aura été la première professeure de son célèbre frère Oscar Peterson. La famille habitait le quartier ouvrier de Saint-Henri, à Montréal, aussi appelé La PetiteBourgogne, un lieu où la musicienne aura laissé sa trace.
Daisy Sweeney, née en 1920 sous le nom de Daisy Elitha Peterson, a obtenu en 1945 son diplôme en musique à l’Université McGill, où elle a continué de suivre des cours par la suite grâce à un salaire de ménagère. Mais c’est l’enseignement qui est resté au coeur de sa vie.
« Elle a eu environ 2000 élèves», raconte au bout du fil le grand Oliver Jones, lui aussi issu de SaintHenri, et qui a eu Daisy Sweeney comme professeure dès l’âge de huit ans. Au total, Jones aura passé une douzaine d’années sous l’aile de la dame avec qui il a par la suite toujours gardé contact.
«Dans mon quartier, quand j’étais petit, ses élèves étaient presque tous des enfants noirs, raconte Oliver Jones. Même si tu n’avais pas d’argent, elle trouvait une manière de donner des leçons. Elle trouvait que c’est quelque chose que tous les enfants devaient avoir.»
Dans les années 1950, la pianiste est déménagée dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce. Elle était issue d’une mère ménagère et d’un père travaillant pour le Canadien Pacifique. Ce dernier avait insisté pour que ses enfants apprennent la musique, le piano en particulier.
Ouvrir des portes
Daisy Sweeney, qui a reçu un doctorat honorifique de l’Université Laurentienne d’Ontario en 1987, a cofondé en 1974, avec Trevor Payne, la Black Community Youth Choir, qui est devenue en 1982 la Montreal Jubilation Gospel Choir.
«Daisy, exception faite de ma mère, était la femme la plus merveilleuse du monde, raconte au Devoir Trevor Payne. Et je ne dis pas ça parce qu’elle est morte, parce que je crois en Dieu et je ne crois pas qu’elle soit partie très loin.»
M. Payne souligne le talent qu’avait Mme Sweeney de pouvoir enseigner à tous les jeunes, qu’ils soient hyperdoués «comme Oliver ou Oscar» ou juste devant un piano «pour ne pas se mettre dans le trouble».
Sa fille Sylvia Sweeney croit que la pianiste a ouvert des portes à toute une génération qui n’avait que fort peu d’ouverture à l’horizon. «Un de ses plus grands accomplissements, c’est d’avoir brisé la barrière raciale en amenant les étudiants qu’elle avait formés, pour 25 cents la leçon, à des examens préparatoires à l’Université McGill et à des compétitions. Elle a changé le portrait de ce qui était possible, pas dans l’esprit de ces enfants, mais dans l’esprit de ceux qui les jugeaient.»
Oliver Jones, aujourd’hui à la retraite, se trouve encore choyé d’avoir pu être l’élève de Daisy Sweeney et d’avoir appris le travail des grands musiciens classiques, ce qui était assez rare pour les Noirs à l’époque, ajoute-t-il.
« Tous les soirs dans les clubs, je rencontrais des gens qui me disaient qu’on avait quelque chose en commun, qu’ils avaient eux aussi suivi des cours avec Daisy. J’en ai au moins rencontré 500, 1000, de ses élèves. »
Sévère, mais humaine
Aux dires de sa fille Sylvia, elle était une professeure stricte, mais tout de même aimante. «Elle a formé une génération, alors ça prend un caractère d’acier pour avoir les résultats qu’elle a réussi à avoir, dit la cinéaste et ancienne joueuse de basket. Elle disait que chaque coup de pied était une élévation!»
Trevor Payne se souvient d’une enseignante exceptionnelle, qui savait monter le ton quand c’était le temps, mais qui savait aussi être humaine et patiente. Oliver Jones, lui, retient que Daisy Sweeney était capable de faire sortir le meilleur de l’élève timide qu’il était.
« C’était une dame à qui on pouvait poser toutes sortes de questions, elle avait toujours quelque chose d’intéressant à répondre, se souvient Oliver Jones. Je me souviens à l’âge de neuf ans, j’ai demandé: “Pensez-vous que tout le monde peut jouer comme votre frère?” Et puis elle m’a dit: “Ce n’est pas facile. Il faudrait que tu continues tes classes de musique classique, puis ça prend une discipline énorme.” C’était vrai!»
Une cérémonie publique aura lieu samedi matin à l’église Union United, chère à la communauté noire de Montréal. Deux cents personnes pourront y assister.
«Ce qu’elle a fait, musicalement, était extraordinaire, résume Trevor Payne de la Montreal Jubilation Gospel Choir. Mais la façon dont elle l’a fait était encore plus extraordinaire. »