Le Devoir

Québec protégera le Cyclorama de Jérusalem

Les propriétai­res auraient souhaité une interventi­on de l’État bien avant aujourd’hui

- MARIE-MICHÈLE SIOUI DAVE NOËL à Québec

La famille Blouin, propriétai­re du Cyclorama de Jérusalem, situé à Sainte-Anne-de-Beaupré, estime que le classement patrimonia­l du bâtiment annoncé lundi par Québec ne règle pas le problème de «relève» qui les a poussés à mettre la rotonde et sa toile en vente.

«Ils ne demandent que ça, que ça continue. Mais s’ils ferment, il n’y a personne pour continuer », s’est inquiété le courtier immobilier Martin Dostie, mandaté par la famille pour vendre le Cyclorama, listé au prix de 5 millions de dollars au début du mois de juillet.

Quelques semaines après la mise en vente du bâtiment, le ministre de la Culture, Luc Fortin, a annoncé avoir signé des avis d’intention de classement pour la toile de 110 mètres de longueur et la rotonde qui l’abrite. Le Cyclorama « possède un intérêt à l’échelle nationale en raison de ses valeurs historique­s, artistique­s et architectu­rales », a-t-il déclaré.

Les Blouin apprécient le geste, mais regrettent qu’il n’ait pas été fait plus tôt, a expliqué Martin Dostie au Devoir. «La famille trouve ça ordinaire que, du jour au lendemain, ils décident de le rendre patrimonia­l. Ils ont essayé d’avoir une aide financière par le passé et n’ont jamais rien eu», a admis le courtier immobilier. «Ils ont eu peur parce qu’on s’en allait à l’internatio­nal. Mais pourquoi ils ne se sont pas réveillés il y a dix ans?», a-t-il demandé.

La famille Blouin soutient avoir déjà sollicité l’aide financière de Québec pour restaurer le Cyclorama, sans succès. Ils souhaitent désormais le vendre afin de prendre leur retraite. L’immense toile du Cyclorama, qu’ils ont acquise en 1957, représente la crucifixio­n du Christ et offre un portrait fidèle de ce qu’étaient Jérusalem et sa périphérie à l’époque de Ponce Pilate. La possibilit­é qu’il quitte le lieu qu’il occupe depuis 122 ans a créé tout un émoi dans les milieux universita­ires, des arts et du cinéma. Une pétition lancée par l’historien du cinéma Jean-Pierre Sirois-Trahan a récolté l’appui de plus de 400 personnes, qui ont demandé qu’il soit classé monument historique. «Tout le monde qui connaît un peu le sujet sait que c’est un trésor internatio­nal», a déclaré l’instigateu­r de la requête. Lundi, l’annonce du ministre Fortin l’a ému. «Je suis extrêmemen­t heureux. C’est vraiment un soulagemen­t, parce que ça fait des années que j’ai une épée de Damocles au-dessus de la tête, que je crains qu’il soit déménagé, vendu ou détruit.»

Un avis dans 60 jours

En signant un avis d’intention de classement, le ministre Fortin a fourni un délai de 60 jours aux personnes désirant transmettr­e des observatio­ns au Conseil du patrimoine culturel du Québec. L’organisme consultati­f donnera ensuite un avis au ministre au sujet du classement permanent du Cyclorama. Ce classement prendra vraisembla­blement le relais de l’avis d’intention, qui n’est valide que pour une durée maximale d’un an.

«Ça n’empêche pas une vente, a précisé l’attaché de presse de Luc Fortin, Karl Filion. Mais le ministre a un droit de préemption s’il y a une offre.»

Le ministère de la Culture, qui ne possède pas de parc immobilier, n’agit pas dans l’intention d’acquérir le Cyclorama. «Le but, c’est qu’il reste au Québec et sur place, à Sainte-Anne-deBeaupré», a déclaré Karl Filion.

En outre, quiconque souhaitera­it déplacer le Cyclorama devrait obtenir une autorisati­on du ministère. Un acquéreur potentiel — qui pourrait venir de l’étranger — aurait en revanche accès à des subvention­s qui pourraient couvrir jusqu’à la moitié des coûts des travaux, selon le ministère de la Culture.

Une histoire unique

L’unicité du Cyclorama a intéressé l’agente de recherche et de planificat­ion à l’UQAM Isabelle Caron, qui y a consacré son mémoire de maîtrise. « [C’est] un cas singulier pour l’Amérique, parce qu’il est le seul qui développe une thématique religieuse et qui ait été installé sur un lieu de pèlerinage religieux», a-t-elle remarqué.

Le Cyclorama n’a cependant jamais été exploité par des religieux, demeurant en marge du sanctuaire officiel de la congrégati­on des Rédemptori­stes, où se trouve la basilique Sainte-Anne-de-Beaupré.

Le Cyclorama a attiré les foules dès son arrivée à Sainte-Anne-de-Beaupré, en 1895. À l’époque, les visiteurs découvraie­nt Jérusalem pour 0,25 $, contre 12$ aujourd’hui. Le prix a suivi celui des billets de cinéma, explique JeanPierre Sirois-Trahan. Le chercheur souligne d’ailleurs l’influence des panoramas sur les premiers temps du cinéma; ils pouvaient notamment servir de documentat­ion pour porter la Passion du Christ à l’écran. «C’est capital pour comprendre le cinéma et pour comprendre toutes les formes d’immersion», estime le professeur de l’Université Laval.

Et si certains confondent encore le Cyclorama de Jérusalem avec un vélodrome, en raison de sa forme cylindriqu­e, ils ne sont certaineme­nt pas les premiers. Dès les années 1920, un portique couronné d’une coupole byzantine a été érigé devant le Cyclorama pour guider les touristes, son nom pouvant laisser entendre, à tort, qu’il s’agissait d’une salle d’exposition pour cyclomoteu­rs, signale Isabelle Caron.

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FRANCIS VACHON LE DEVOIR Le ministre de la Culture a fait part de son intention de classer bien patrimonia­l le Cyclorama de Jérusalem, situé à Sainte-Anne-de-Beaupré.

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