L’inaction comme politique
Devant les membres de la Commission-Jeunesse de son parti, Philippe Couillard a lancé, dimanche, un appel aux anglophones du Québec. «We need you», a-t-il clamé dans son discours de clôture. Son gouvernement n’a pourtant aucune solution pour contrer le déclin du réseau scolaire anglais. Aux anglophones comme aux francophones, son message est le même: l’équilibre linguistique est atteint. En matière de langue, l’inaction s’impose.
Les jeunes libéraux de Montréal ont présenté une résolution pour mettre sur pied un projet pilote permettant à des élèves francophones qui, en vertu de la Charte de la langue française, n’ont pas le droit de fréquenter l’école anglaise, de s’y inscrire. Seul un petit nombre d’élèves — environ 1000, a-t-on évoqué — aurait pu ainsi s’instruire en anglais. Après un débat qui a donné lieu à des échanges passionnés, la résolution fut rejetée, au grand soulagement du premier ministre et de son ministre responsable de la Protection de la langue française, Luc Fortin.
Le déclin du réseau scolaire anglophone est bien réel. Selon les données de l’Office québécois de la langue française, le nombre d’élèves dans les écoles du Québec a baissé de 1,6 million à 1 million de 1971 à 2015. Mais pour les écoles anglaises, la chute, en proportion, a été beaucoup plus marquée, de 260000 à 95000, une réduction de près des deux tiers.
Tout comme son pendant francophone, le réseau scolaire anglais est frappé par le déclin démographique. Mais alors que le réseau scolaire français profite de l’apport des enfants des immigrants pour atténuer le phénomène, les commissions scolaires anglaises ne peuvent compter que sur la croissance naturelle du nombre d’enfants dont un des deux parents a fréquenté l’école primaire ou secondaire en anglais au Canada — la condition que dicte la loi 101 pour avoir accès à l’école anglaise. Cette décroissance est aggravée par les départs d’anglophones vers d’autres cieux.
La solution des jeunes libéraux de Montréal consiste à angliciser les francophones pour maintenir les écoles anglaises à flot. En fait, elle trahit la forte attraction de la langue anglaise au Québec, une réalité que le gouvernement Couillard tente d’occulter. Aux yeux de ces jeunes libéraux, il va de soi que de nombreux parents francophones n’hésiteraient pas à envoyer leurs enfants à l’école anglaise si on leur en donnait le droit. Le pire, c’est qu’ils ont sans aucun doute raison.
La vitalité de la communauté anglophone au Québec n’est pas menacée, même si ses écoles se dépeuplent. Ses établissements d’enseignement supérieur, sans parler du marché du travail, lui permettent de compenser. La moitié des étudiants des cégeps anglais viennent du réseau scolaire français et les trois universités anglophones, au premier chef la vénérable Université McGill, assurent le rayonnement du Québec anglophone.
Préoccupée par le dépeuplement des écoles anglaises, une association comme le Quebec Community Groups Network (QCGN) n’a jamais préconisé de puiser dans le bassin des élèves francophones pour remédier à la situation. Reprenant une proposition du rapport de Gretta Chambers, publié en 1992, l’association propose plutôt que la Charte de la langue française soit modifiée afin de permettre aux enfants d’immigrants en provenance des États-Unis et des pays du Commonwealth de fréquenter l’école anglaise, comme c’est le cas pour les Canadiens. Il s’agit d’une proposition qui apparaît beaucoup plus sensée que de miser cyniquement sur l’assimilation des francophones.
En livrant, dimanche, une bonne part de son discours de clôture en anglais, Philippe Couillard a tenu à rassurer les anglophones, cette clientèle acquise au Parti libéral, en affirmant que leur présence était nécessaire et désirée, et en les invitant à convaincre leurs amis qui sont partis de revenir au Québec.
Mais au-delà de ces bonnes paroles, les anglophones ne doivent s’attendre à rien de concret. À maintes reprises, Philippe Couillard a fermé la porte au nécessaire renforcement de la loi 101 pour mieux protéger la langue française; il ne peut raisonnablement proposer de modifier la Charte de la langue française pour contrer le déclin de l’école anglaise. En matière linguistique, l’inaction lui tient lieu de politique. Paradoxalement, si le français au Québec était aussi fort que le chef libéral le prétend — et si nous étions dans un pays normal —, il n’y aurait pas de mal à permettre aux anglophones de contrer l’inexorable déclin de leur réseau scolaire.