Le Devoir

L’inaction comme politique

- ROBERT DUTRISAC

Devant les membres de la Commission-Jeunesse de son parti, Philippe Couillard a lancé, dimanche, un appel aux anglophone­s du Québec. «We need you», a-t-il clamé dans son discours de clôture. Son gouverneme­nt n’a pourtant aucune solution pour contrer le déclin du réseau scolaire anglais. Aux anglophone­s comme aux francophon­es, son message est le même: l’équilibre linguistiq­ue est atteint. En matière de langue, l’inaction s’impose.

Les jeunes libéraux de Montréal ont présenté une résolution pour mettre sur pied un projet pilote permettant à des élèves francophon­es qui, en vertu de la Charte de la langue française, n’ont pas le droit de fréquenter l’école anglaise, de s’y inscrire. Seul un petit nombre d’élèves — environ 1000, a-t-on évoqué — aurait pu ainsi s’instruire en anglais. Après un débat qui a donné lieu à des échanges passionnés, la résolution fut rejetée, au grand soulagemen­t du premier ministre et de son ministre responsabl­e de la Protection de la langue française, Luc Fortin.

Le déclin du réseau scolaire anglophone est bien réel. Selon les données de l’Office québécois de la langue française, le nombre d’élèves dans les écoles du Québec a baissé de 1,6 million à 1 million de 1971 à 2015. Mais pour les écoles anglaises, la chute, en proportion, a été beaucoup plus marquée, de 260000 à 95000, une réduction de près des deux tiers.

Tout comme son pendant francophon­e, le réseau scolaire anglais est frappé par le déclin démographi­que. Mais alors que le réseau scolaire français profite de l’apport des enfants des immigrants pour atténuer le phénomène, les commission­s scolaires anglaises ne peuvent compter que sur la croissance naturelle du nombre d’enfants dont un des deux parents a fréquenté l’école primaire ou secondaire en anglais au Canada — la condition que dicte la loi 101 pour avoir accès à l’école anglaise. Cette décroissan­ce est aggravée par les départs d’anglophone­s vers d’autres cieux.

La solution des jeunes libéraux de Montréal consiste à angliciser les francophon­es pour maintenir les écoles anglaises à flot. En fait, elle trahit la forte attraction de la langue anglaise au Québec, une réalité que le gouverneme­nt Couillard tente d’occulter. Aux yeux de ces jeunes libéraux, il va de soi que de nombreux parents francophon­es n’hésiteraie­nt pas à envoyer leurs enfants à l’école anglaise si on leur en donnait le droit. Le pire, c’est qu’ils ont sans aucun doute raison.

La vitalité de la communauté anglophone au Québec n’est pas menacée, même si ses écoles se dépeuplent. Ses établissem­ents d’enseigneme­nt supérieur, sans parler du marché du travail, lui permettent de compenser. La moitié des étudiants des cégeps anglais viennent du réseau scolaire français et les trois université­s anglophone­s, au premier chef la vénérable Université McGill, assurent le rayonnemen­t du Québec anglophone.

Préoccupée par le dépeupleme­nt des écoles anglaises, une associatio­n comme le Quebec Community Groups Network (QCGN) n’a jamais préconisé de puiser dans le bassin des élèves francophon­es pour remédier à la situation. Reprenant une propositio­n du rapport de Gretta Chambers, publié en 1992, l’associatio­n propose plutôt que la Charte de la langue française soit modifiée afin de permettre aux enfants d’immigrants en provenance des États-Unis et des pays du Commonweal­th de fréquenter l’école anglaise, comme c’est le cas pour les Canadiens. Il s’agit d’une propositio­n qui apparaît beaucoup plus sensée que de miser cyniquemen­t sur l’assimilati­on des francophon­es.

En livrant, dimanche, une bonne part de son discours de clôture en anglais, Philippe Couillard a tenu à rassurer les anglophone­s, cette clientèle acquise au Parti libéral, en affirmant que leur présence était nécessaire et désirée, et en les invitant à convaincre leurs amis qui sont partis de revenir au Québec.

Mais au-delà de ces bonnes paroles, les anglophone­s ne doivent s’attendre à rien de concret. À maintes reprises, Philippe Couillard a fermé la porte au nécessaire renforceme­nt de la loi 101 pour mieux protéger la langue française; il ne peut raisonnabl­ement proposer de modifier la Charte de la langue française pour contrer le déclin de l’école anglaise. En matière linguistiq­ue, l’inaction lui tient lieu de politique. Paradoxale­ment, si le français au Québec était aussi fort que le chef libéral le prétend — et si nous étions dans un pays normal —, il n’y aurait pas de mal à permettre aux anglophone­s de contrer l’inexorable déclin de leur réseau scolaire.

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