Portrait-robot des électeurs de Trump
Comment les recherches sociologiques ont mis au jour ce que les experts n’ont pas vu
Les résultats de l’élection de 2016 ont surpris de nombreux Américains. Les journalistes, les experts politiques et presque tous les gens travaillant dans le domaine politique ont vécu ce qu’ils croyaient inconcevable. Les manchettes des journaux du 9 novembre aux États-Unis annonçaient la nouvelle avec des mentions telles que «Choquant», «Renversant», et «La nouvelle réalité des États-Unis ».
Je me souviens d’avoir regardé le dévoilement des résultats en tant que membre du personnel du Congrès, et ce, entouré d’experts habitant Washington: analystes politiques, personnel de campagnes politiques et journalistes. Tout le monde autour de moi était bouche bée et essayait de comprendre ce qui nous avait échappé.
Si seulement nous avions été davantage au courant des dernières recherches sociologiques. Après ce qu’on peut appeler, à tout le moins, une campagne peu orthodoxe, Donald Trump a reçu près de 63 millions de votes, ce qui, en partie grâce au fonctionnement particulier du Collège électoral, l’a propulsé au plus haut cabinet des États-Unis.
Peu importe s’il a bel et bien gagné la majorité absolue du vote ou s’il avait perdu les élections, ce soutien indique clairement que ces «experts» ont négligé des groupes d’électeurs importants qui ont envoyé la nation — et à vrai dire, le monde entier — dans une direction inattendue.
Les électeurs de Trump
La semaine dernière, à Montréal, des milliers de sociologues se sont rencontrés pour partager des recherches et examiner ces données démographiques. David Norman Smith et Eric Allen Hanley, de l’Université du Kansas, ont notamment présenté «Voting for Trump: The Big Picture», une séance dans laquelle ils ont contesté la théo- rie selon laquelle les partisans de Trump, en grande partie des électeurs blancs « moins éduqués » (qui n’ont pas de diplôme universitaire), ont voté pour ce dernier en raison de leur inquiétude face à leur sécurité financière. Au contraire, ces chercheurs indiquent que ces électeurs possèdent une forte opinion sur les minorités, les femmes et les immigrants, ce qui a davantage influencé leurs décisions que leurs problèmes de sécurité économique.
Par exemple, ils croient que si les Américains noirs faisaient plus d’efforts, ils pourraient être aussi bons que les Américains blancs; que les femmes exigeant l’égalité cherchent plutôt à obtenir des faveurs spéciales; et que les immigrants sans-papiers arrivés au pays lorsqu’ils étaient enfants devraient être renvoyés dans leurs pays d’origine, et ce, même s’ils ont vécu la majorité de leur vie aux États-Unis et qu’ils y ont terminé leurs études.
«Les sondages démontrent que les électeurs éduqués qui ne partagent pas ces opinions n’ont pas voté pour Trump», explique Smith. «Il ne s’agissait donc pas d’un écart d’éducation, mais plutôt de leur point de vue sur la façon dont ils croient être traités injustement par rapport à d’autres populations. »
Suprématistes blancs
On retrouve également un autre groupe reconnu pour avoir donné un grand soutien à la campagne de Trump lors des élections : les suprématistes blancs. La campagne de Trump a souvent renié tout lien avec des groupes nationalistes blancs, mais de nombreux leaders du mouvement ont clairement affiché leur soutien. Richard Spencer, chef du National Policy Institute et nationaliste blanc, a d’ailleurs déclaré après l’élection «Hail Trump! Hail our people! Hail victory!».
Les sociologues Aaron Pankofsky et Joan Donovan, de l’Université de Californie à Los Angeles, ont également présenté leurs recherches explorant ce qui se passe lorsque de tels puristes raciaux découvrent qu’ils sont d’ascendance mixte.
Maintenant que la science peut déterminer les origines raciales et ethniques d’une personne à partir d’un échantillon de salive, beaucoup de ceux qui sont attachés à ces idées de «pureté raciale» font face au fait qu’ils ne sont pas si purs qu’ils le croyaient. A priori, faire face à ce dilemme ne semble pas exiger trop de réflexion, mais plusieurs justifient les résultats dans le but de maintenir leur idéologie.
Ces deux sociologues ont mené leurs recherches sur le site Web Stormfront, un forum relié à la suprématie blanche, afin de trouver des discussions sur ces tests ADN. Ces derniers y ont trouvé plusieurs membres qui faisaient l’annonce de leurs résultats démontrant qu’ils étaient en fait partiellement du Moyen-Orient ou partiellement africains. Un grand nombre contestait simplement les résultats en stipulant préférer le «test du miroir » : «Quand je me regarde dans le miroir, je suis blanc. Cela m’est plus important que ce qu’un test peut indiquer.» D’autres se disaient être satisfaits du fait qu’ils étaient blancs en grande partie, incapables de déceler l’ironie de tenir de tels propos contradictoires.
D’autres ont même soutenu que les tests faisaient partie d’une conspiration contre eux. «Certaines de ces personnes ont dit: “Eh bien, savez-vous que 23andMe est une organisation présidée par des juifs? On ne peut tout simplement pas leur faire confiance. Ils veulent faire en sorte que les Blancs doutent de leur héritage, alors les résultats ne peuvent pas être fiables !”», mentionne Pankofsky.
Armes à feu
Selon une étude de Harvard et des Northeastern Universities, 55 millions d’Américains propriétaires d’armes possèdent environ 265 millions d’armes à feu — ce qui équivaut à plus d’une arme à feu pour chaque Américain. Cependant, près de la moitié de ces armes sont dans les mains d’amateurs qui représentent 3% des adultes américains. De nombreux militants proarmes à feu ont acclamé l’élection de Trump avec joie.
«Les propriétaires d’armes à feu à travers le pays ont poussé un soupir de soulagement lorsque Donald J. Trump a été assermenté […] en tant que 45e président des États-Unis», a déclaré une page Web de la National Rifle Association.
Le fait de posséder une arme à feu n’est pas une situation unique en soi, ce que, selon moi, le Canada sait bien — avec 30 pistolets pour 100 habitants. Mais je me suis souvent fait dire par des amis étrangers que le lien que partagent les États-Unis avec les armes à feu leur apparaissait bizarre, y compris le fait de les porter en tout temps.
En s’appuyant sur des entrevues avec 43 propriétaires d’armes à feu, ainsi que sur 30 mois de recherche ethnographique dans des écoles d’arme à feu et des champs de tir, les sociologues Harel Shapira et Samantha Simon ont notamment examiné comment les propriétaires d’armes à feu justifient et légitiment cette pratique.
Ils ont constaté que de nombreux propriétaires d’armes ressentaient le besoin de porter leurs armes en tout temps au cas où quelque chose de « mal » se produisait, au point que cela devienne l’une de leurs responsabilités. Ils considèrent également les armes à feu comme étant des « outils » qui, parfois, sont nécessaires pour tuer les « méchants » qui pourraient faire du mal à qui que ce soit.
«Nous comprenons, en tant que propriétaires d’armes à feu, la valeur de la vie et ce que cela signifie », explique Clay Daniels. «Nous l’utilisons comme un instrument pour nous protéger. Nous l’utilisons comme un instrument pour protéger ceux que nous aimons et qui nous tiennent à coeur. »