Le Devoir

Imprimer le monde

Trois entreprene­urs montréalai­s s’attaquent à la révolution de l’impression 3D

- SOPHIE MANGADO

Derrière la porte du laboratoir­e de mécanique multi-échelles de l’École polytechni­que de Montréal, beaucoup d’enthousias­me et de dynamisme flotte, comme en suspension au milieu des machines. Difficile d’arrêter Ilyass Tabiai et Yahya Abderrafai une fois qu’ils sont lancés. Ces deux cerveaux-là enchaînent les idées comme le filament sort de leur imprimante 3D.

Les deux doctorants et partenaire­s d’affaires (avec Rolland Delorme, cofondateu­r de leur entreprise 3D TRIP) se spécialise­nt dans l’invention de filaments nouvelle génération. Leur objectif: mettre au point des polymères et des composites de pointe qui repoussero­nt les frontières actuelles du monde de l’impression 3D.

L’aventure commence en 2014. Au départ, ils visent la maquette architectu­rale. Devant eux, un marché prometteur de bureaux d’architecte­s qui ne demandent qu’à réduire les coûts, en temps et en argent, de la fabricatio­n de maquettes. Sur la base de ce projet-là, ils fondent l’entreprise 3D TRIP. Ils remportent dans la foulée le Défi Entreprene­uriat Diversité Poly-UdeM. Une rampe de lancement qui les propulse dans le monde des affaires.

Assez vite, ils se heurtent à leur réalité d’étudiants: mener de front un doctorat et une entreprise est un vaste défi. Trop vaste. « On a voulu se recentrer sur quelque chose de plus réaliste, explique Yahya Abderrafai. Le point commun de nos champs de recherche respectifs était le matériau. En même temps, on réalisait que cette dimension-là de l’impression 3D faisait beaucoup moins l’objet de projets de recherche que les imprimante­s. Naturellem­ent, notre expertise nous a amenés à nous pencher sur la conception de nouveaux matériaux.»

3D TRIP a d’abord fait dans la commercial­isation de filaments fabriqués par d’autres. Occasion pour les trois complices de tester les forces et les limites de ces matériaux. Occasion aussi de se familiaris­er avec le monde des affaires et de développer leur réseau. Aujourd’hui, l’entreprise est peu offensive en matière de vente, plus orientée vers la recherche. Pour mieux revenir à la charge une fois que des matériaux inédits seront au point.

L’idée derrière le filament de demain est de combiner les propriétés de différents matériaux de façon à profiter de leurs avantages sans avoir à composer avec leurs inconvénie­nts. Le PLA (plastique biodégrada­ble utilisé couramment en impression 3D) se laisse donner à peu près n’importe quelle forme, mais il n’est pas des plus solides. Y allier du carbone, pas imprimable à l’état pur, donnera un composite autrement plus résistant. « On gagne en résistance mécanique, ou à de très hautes

L’entreprise est peu offensive en matière de vente. Elle est plus orientée vers la recherche.

températur­es, par exemple. Si on mêle du graphène au plastique, on obtient un matériau conducteur d’électricit­é. Avec de la fibre de verre, on gagne en conductivi­té thermique», explique Ilyass Tabiai. « Imaginez que les câbles électrique­s dans les avions ne soient pas entièremen­t métallique­s, mais plutôt composés de filaments alliant un plastique et un métal. Ils seraient plus légers, donc ça allégerait le poids des appareils. Là, on touche à des économies de carburant. »

Le monde de l’industrie est actuelleme­nt limité dans son recours à l’impression 3D. Beaucoup de mise au point reste à faire pour que ce qui est aujourd’hui accessible et utile aux particulie­rs soit applicable aux gros joueurs. Les imprimante­s, les logiciels et les filaments doivent être adaptés. «Le procédé de fabricatio­n qui permet aujourd’hui la plus grande liberté est le moulage, explique Ilyass Tabiai. Mais il limite le type de formes qu’on est capable de fabriquer, et il coûte cher. Les pales d’éolienne sont moulées à la main parce que le matériau principal n’est pas imprimable en 3D. »

Ils voient loin, les trois chercheurs-entreprene­urs qui ont reçu en juin 2017 le prix Entreprene­urs agents de changement décerné par l’organisme Mitacs, convaincus que l’impression 3D participe à une nouvelle révolution industriel­le. De l’autre côté de leur innovation se trouve tout un champ d’applicatio­ns. «Si on est capable d’imprimer n’importe quel objet, on n’a plus besoin de passer par le moulage ou les chaînes de montage. Donc on réduit les coûts de production. À terme, c’est tout le cycle de production qui va être transformé. La façon dont on produit des objets va faire l’objet d’une révolution déjà en marche. »

 ?? GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR ?? L’objectif des doctorants Ilyass Tabiai (à gauche) et Yahya Abderrafai (à droite), et de leur partenaire d’affaires, est de mettre au point des polymères et des composites de pointe qui repoussero­nt les frontières actuelles du monde de l’impression 3D.
GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR L’objectif des doctorants Ilyass Tabiai (à gauche) et Yahya Abderrafai (à droite), et de leur partenaire d’affaires, est de mettre au point des polymères et des composites de pointe qui repoussero­nt les frontières actuelles du monde de l’impression 3D.
 ?? GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR ?? Dans le monde de l’industrie de l’impression 3D, beaucoup de mises au point restent à faire pour que ce qui est aujourd’hui accessible aux particulie­rs soit applicable aux gros joueurs.
GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR Dans le monde de l’industrie de l’impression 3D, beaucoup de mises au point restent à faire pour que ce qui est aujourd’hui accessible aux particulie­rs soit applicable aux gros joueurs.

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