Une modernisation « cosmétique » ?
Les accords parallèles sur l’environnement et le travail ont eu des impacts limités
La volonté du Canada de moderniser l’ALENA en y incluant des dispositions sur l’environnement et les normes du travail n’annonce pas des changements aussi profonds qu’il n’y paraît. Ces deux enjeux, présentés comme prioritaires par le gouvernement Trudeau, font déjà l’objet d’accords parallèles qui ont eu un impact limité depuis 1994.
Dans un discours prononcé lundi, la ministre fédérale des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a insisté sur l’importance d’insérer dans l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) de « solides mécanismes de protection » liés à l’environnement et au travail, pour faire en sorte que l’entente qui est renégociée à partir de ce mercredi soit «équitable».
Or deux accords parallèles de l’ALENA entrés en vigueur il y a plus de vingt ans pour répondre aux préoccupations de la population ont déjà pour but de protéger l’environnement et les droits des travailleurs.
« La nouveauté est plutôt cosmétique», affirme Charles-Emmanuel Côté, professeur à la Faculté de droit de l’Université Laval et codirecteur du Centre de droit international et transnational.
Pas de conflit
L’Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l’environnement et l’Accord nord-américain de coopération dans le domaine du travail permettent de porter plainte contre un État qui n’appliquerait pas le droit environnemental afin d’avantager une entreprise ou qui ne respecterait pas les principes et droits fondamentaux liés au travail, résume M. Côté.
En principe, ces deux accords permettraient par exemple aux États-Unis de porter plainte contre le Canada devant la Commission de coopération environnementale, dont le secrétariat est situé à Montréal. « Mais il n’y a jamais eu de différend interétatique basé sur l’inapplication, par un État, de son droit de l’environnement ou de son droit du travail. Ça n’a pas été appliqué dans aucun accord parallèle du Canada», affirme le professeur.
Débat public
«Ce qui est intéressant, précise-t-il, c’est que les syndicats et les ONG n’ont pas hésité à signaler des cas à la commission. Par la suite, c’est aux États de décider ce qu’ils font de ces avis. Et jamais un État ne s’est servi de ces communications-là pour porter plainte contre un autre État.»
Ces mécanismes ont eu une utilité « modeste», sans être une «panacée», juge le spécialiste. À son avis, ils ont à tout le moins permis d’alimenter le débat public.
Cela dit, plusieurs entreprises étrangères ont utilisé le chapitre 11 de l’ALENA sur le règlement des différends investisseur-État pour intenter des recours contre le Canada au sujet de ses réglementations environnementales.
Aller plus loin?
Reste maintenant à voir ce que demandera précisément le gouvernement Trudeau à la table de négociations. Il a laissé entendre qu’il s’inspirerait de l’accord de libre-échange signé avec l’Union européenne, qui contient des chapitres spécifiques sur l’environnement et le travail.
Ceux-ci prévoient que les pays signataires ne diminueront pas leur niveau de protection pour accroître le commerce ou attirer des investissements étrangers. Aucune compensation financière n’est cependant prévue en cas de nonrespect
des dispositions de ces chapitres.
«Ce qui irait plus loin, ce serait qu’Ottawa propose d’imposer des surtaxes à l’importation si un État ne respectait pas les règles en matière de protection de l’environnement ou des travailleurs, explique Charles-Emmanuel Côté. Mais je n’y crois pas vraiment.»
Plaire à Trump
Patrick Leblond, professeur à l’Université Laval spécialisé en commerce international, croit malgré tout que la renégociation de l’ALENA pourrait permettre de donner plus de « mordant » aux dispositions qui concernent l’environnement et le travail.
Le rehaussement des normes concernant les droits du travail pourrait d’ailleurs plaire au président Trump, note-t-il. «Il pourrait alors affirmer que les travailleurs mexicains sont soumis aux mêmes exigences que les travailleurs américains.»
La première de sept rondes de négociation pour le renouvellement de l’ALENA se déroulera jusqu’à dimanche à Washington. L’objectif est d’en arriver à une entente au début de l’année 2018.