Donald Trump n’est qu’un maillon de l’histoire
Dans la foulée des manifestations à Charlottesville, le refus du président Donald Trump de condamner sans équivoque les suprémacistes blancs responsables de la violence a choqué plus d’un Américain. Il concédait ainsi à l’intolérance et au racisme une légitimité indue tout en portant atteinte aux préceptes de la moralité au coeur du projet démocratique américain.
Le plus troublant, c’est que cet état des choses n’est pas nouveau. Le président américain n’est pas le premier populiste à exacerber le racisme, ce grand mal national: il s’inscrit plutôt comme le dernier maillon de ce long et apparemment interminable chapitre de l’histoire américaine débutant avec l’esclavage, il y a près de 400 ans. Depuis, le scénario du ressentiment et du déni à propos de la question raciale a survécu à plusieurs crises passagères.
La présidence de Barack Obama a confirmé ce racisme aussi vicieux que pernicieux qu’on aurait cru inconcevable au XXIe siècle. En outre, elle a été le prétexte conjoncturel de la recrudescence du militantisme politique de plus d’un millier de groupes haineux rassemblant suprémacistes blancs, membres du Ku Klux Klan, néoconfédérés, néonazis, etc., ceux-là mêmes qui ont revigoré les chimères populistes de Trump et facilité son élection.
Cet état de fait historique s’est constamment reproduit, à l’exception de deux moments de rupture: la guerre de Sécession et les mouvements des droits civiques. Fort de sa pluralité, le peuple américain a alors rejeté le statu quo racial par simple moralité, en s’appuyant sur les valeurs libérales fondatrices d’égalité, de justice et de droit au bonheur pour tous. En acceptant des interventions politiques et militaires massives, la nation en crise a permis des virages raciaux progressistes. L’opiniâtreté politique du président Abraham Lincoln, inégalée à ce jour, a mené à la rédaction de la Proclamation d’émancipation des Noirs en pleine guerre civile; de même, il faut saluer le courage politique du président Lyndon B. Johnson, l’instigateur des lois sur les droits civiques et d’une myriade de programmes antidiscrimination visant à en finir avec les agressions sauvages contre les Noirs du Sud. En revanche, entre 1876 et 1964, la complaisance de présidents populistes, tels Wilson ou Taft, à l’égard des régimes ségrégationnistes sudistes n’a été surpassée que par le discours démagogique cru et l’obsession tyrannique des élites suprémacistes blanches du Sud.
Cependant, depuis l’abolition de la ségrégation, aucun président, à l’exception de Donald Trump, n’a osé déroger aux règles élémentaires de l’autorité morale présidentielle en cautionnant publiquement le suprémacisme blanc. Parallèlement, aucun président n’a réussi à construire solidement des ponts entre les deux communautés ni à lancer une «conversation» nationale au sujet d’une question raciale jugée urgente par nombre d’Afro-Américains.
Y a-t-il crise présentement ?
Après Charlottesville, certains observateurs ont soulevé l’hypothèse du déclenchement imminent d’une « nouvelle forme de guerre civile ». En effet, les propos du président Trump ont provoqué un raz-de-marée: manifestations antiracistes mêlant Blancs et Noirs, démissions de gens d’affaires influents, dénonciations de militaires haut gradés et même dissensions entre les élus républicains, tous indignés en fonction de leur conscience morale. Sans compter le démantèlement furtif de quelques symboles sécessionnistes parmi les milliers qui tapissent le Sud.
Les Américains, démocrates et républicains, Noirs et Blancs, sont généralement divisés sur ce dernier point. Donnant raison à Trump, au moins deux Américains sur trois appuient ce pavoisement au nom de la fierté sudiste et de l’histoire. Ce constat témoigne d’un attachement ambivalent, pourtant insoutenable, envers des emblèmes idéalisant l’esclavagisme. De plus, un enseignement partial et mensonger de l’histoire dans les écoles démontre l’endurante fracturation politique du pays. Néanmoins, la perspective d’une soi-disant nouvelle guerre civile au nom du maintien ou pas des symboles sécessionnistes demeure improbable.
Pour autant, une «nouvelle guerre culturelle» s’annonce-telle? À l’instar de Reagan et d’autres républicains, Trump a fidèlement repris les slogans «Make America Great Again» et «Take Back Our Country». En plus de fouetter indûment la nostalgie populaire à propos de valeurs traditionnelles caractéristiques du Sud, Trump s’inscrit comme le plus récent acteur de la mutation apparemment indomptable du Parti républicain vers un conservatisme de plus en plus radical et extrémiste.
La poursuite d’un conservatisme social et fiscal de droite, d’un combat implacable contre le libéralisme, de la «déconstruction du gouvernement» et de manipulations politiques racistes et ethniques à des fins de conquêtes électorales partisanes oriente toujours le programme du Parti républicain. Un renversement subit et retentissant des gains pour le contrôle de « l’âme américaine», en faveur d’un Parti démocrate à la recherche d’un nouveau souffle, apparaît peu vraisemblable. En somme, les échauffourées raciales de Charlottesville ou les excès suprémacistes de Trump ne font pas craindre une «nouvelle crise de la moralité ». Ces thèmes vont bientôt disparaître de l’embarras populaire.
Il en est autrement du manque d’autorité morale chez Donald Trump, sans parler de sa compétence. Une pléiade de facteurs conjoncturels irritent et effraient plusieurs Américains, du désengagement de l’État en matière de politiques de bien-être général à la perte d’influence du pays dans le monde. La croissance d’un sentiment d’insécurité illustre encore mieux le déshonneur national et international que le président Trump fait subir aux Américains.