Guide de survie à la prochaine ère glaciaire
Dans Les buveurs de lumière, Jenni Fagan oppose chaleur humaine et froid polaire
2020. Il suffirait de quelques degrés de moins pour que le monde soit plongé dans une nouvelle ère glaciaire. Les bulletins météo se succèdent et les gens se pressent dans les aéroports pour fuir le froid à venir. Les informations dépeignent une catastrophe annoncée qui semble pourtant prendre tout le monde par surprise. «Toute l’Europe est paralysée depuis quelques jours. La planète entière est touchée par l’effondrement de systèmes météorologiques complexes essentiels à la survie.»
Une fiction, donc? Avec Les buveurs de lumière, Jenni Fagan signe plutôt un bouquin d’anticipation, un roman apocalyptique traversé par une crise climatique qui plonge la petite communauté fictive de Clachan Fells, au nord de l’Écosse, dans un hiver rigoureux. Un euphémisme puisqu’au fil des chapitres que l’on dévore, le thermomètre chute à une vitesse vertigineuse. Le mercure passera de 6 à 70 degrés sous zéro, ne manquant pas de nous donner quelques sueurs froides.
L’intrigue se joue au coeur d’un parc de caravanes passablement isolé où vivent une poignée de gens atypiques et quelque peu excentriques. Le destin de trois personnages s’y croise. Il y a Dylan MacRae, citadin ayant passé toute sa vie dans un cinéma d’art et d’essai de Soho, à Londres, qui y pose ses pénates vers la fin de l’automne après la mort de sa mère et de sa grand-mère. Il y rencontre Constance, une femme caractérielle, indépendante et habile de ses mains, qui a un penchant marqué pour le survivalisme. Constance a une fille aussi, transgenre: Stella, préado courageuse en pleine quête identitaire.
Une histoire d’amour discrète se dessine entre Dylan et Constance, alors que Stella poursuit sa transformation entre la complicité et l’amour inconditionnel de sa mère, les moqueries de ses pairs et le déni de son père taxidermiste pour sa nouvelle identité. Ses pensées occupent une place centrale dans ce roman paru l’an dernier au Royaume-Uni et aux États-Unis, avec une lucidité teintée d’une légère touche de cynisme — «gothique», pour reprendre ses mots — qui a tout pour charmer.
Brutal et poétique
«Dehors, il y a un ciel bleu, très bleu, et le givre a saupoudré d’argent les montagnes de Clachan Fells. Stella Fairbairn a l’impression qu’elle va se mettre à pleurer, et personne n’est encore debout. Elle est un cygne enveloppé dans de la cellophane et tout le monde voit à travers sa peau. Lewis ne l’embrassera plus jamais. Elle ferait mieux de faire une croix là-dessus. Elle n’est pas jolie, elle est anguleuse, et elle a un pénis. »
L’écriture de Jenni Fagan est crue et brutale, portée par une lumière ponctuée d’images fortes et poétiques. Ce second roman, quatre ans après la parution de La sauvage (The Panopticon), apparaît cet automne en nous rappelant à chaque ligne que la jeune auteure britannique est aussi poète (The Dead Queen of Bohemia, son plus récent livre).
Les descriptions sont d’une finesse métaphorique élaborée. Elles donnent à voir et à sentir avec une impressionnante précision cette ère glaciaire prête à étendre ses tentacules au-delà des portes de la civilisation. Les dialogues revêtent toutefois cet air un brin franchouillard et parfois rébarbatif, traduction oblige.
Les buveurs de lumière est une ode aux choses toutes simples de la vie, surtout celles qui agissent comme un baume dans un univers aux allures de fin du monde. Jenni Fagan, avec sa prose vive et authentique, livre un roman d’une grande force lyrique mêlant la chaleur humaine au froid polaire, comme une lampée de gin pour se réchauffer avant de braver la tempête. LES BUVEURS DE LUMIÈRE
★★★ 1/2 Jenni Fagan Traduit de l’anglais (Écosse) par Céline Schwaller Éditions Métaillé Paris, 2017, 304 pages
En librairie le 29 août