Le Devoir

Rodeo FX : travailleu­rs de l’ombre

- MANON DUMAIS

Entrer dans les studios de Rodeo FX, c’est avoir l’impression de pénétrer dans l’atmosphère feutrée d’un atelier de moines copistes au Moyen Âge. Casque d’écoute vissé sur les oreilles, yeux fixés sur son écran, chaque artiste oeuvre en silence dans la pénombre. Tout semble si solennel qu’on se surprend à marcher sur la pointe des pieds et à chuchoter afin de ne pas les déranger.

Jetant quelques coups d’oeil discrets sur les moniteurs, on y aperçoit des créatures fabuleuses, des poursuites spectacula­ires et des séquences explosives que l’on découvrira dans toute leur splendeur sur petit ou grand écran au fil des prochains mois, voire des années. De fait, qu’ils soient discrets ou éblouissan­ts, il en faut du temps pour créer des effets spéciaux. Pour trente minutes à l’écran dans Valérian et la cité des mille planètes, cent cinquante artistes de Rodeo FX ont travaillé durant dix-huit mois.

«Souvent, quand on est appelés pour des projets, le tournage des séquences est déjà com-

mencé. Ce qui est particulie­r avec Valérian, c’est que Besson a vraiment décidé de nous impliquer très tôt, soit un an avant qu’il commence à tourner », se souvient François Dumoulin, superviseu­r VFX.

Dans la tête de Besson

C’est grâce à la qualité de ses effets spéciaux pour Lucy (2014) que Luc Besson a recruté la compagnie montréalai­se, qui s’est retrouvée au même niveau que deux autres gros joueurs: Weta Digital et Industrial Light & Magic, respective­ment les compagnies d’effets spéciaux de Peter Jacskon et de George Lucas.

« On devait mettre en image tout ce que Luc Besson avait en tête. Comme il s’agissait d’une adaptation, on s’est beaucoup inspirés des bandes dessinées de Christin et Mézières. On a notamment créé le vaisseau principal, l’Intruder, et les environnem­ents en s’inspirant de l’imagerie des livres. Ce n’est pas exactement comme dans les bandes dessinées puisqu’elles ont été faites dans les années 1970», explique Olivier Martin, directeur artistique et illustrate­ur (concept artist).

Luc Besson rêvait depuis une quinzaine d’années de transposer les aventures de Valérian et Laureline, dont certaines scènes avaient d’abord été conçues pour Le cinquième élément. Or, en voyant Avatar, de James Cameron, il s’est dit qu’il devait reprendre à zéro.

«Très souvent quand tu rencontres un réalisateu­r au début d’un projet, il te dit “propose-moi quelque chose que je n’ai jamais vu”. Avec Besson, c’est l’inverse. À la première rencontre, il y avait des peintures partout sur les murs du bureau, il avait son truc complèteme­nt dans la tête. On sentait qu’il avait vraiment travaillé fort. C’est sûr que, sur certains environnem­ents et vaisseaux, on avait carte blanche, mais le film était déjà complèteme­nt dans sa tête. Il n’y a pas eu un moment où il n’était pas sûr de ce qu’il voulait ou non », raconte François Dumoulin.

«On propose et lui dit “j’aime bien” ou “j’aime pas”. Et là, on retourne au travail. Besson laisse une liberté créative. Ensuite, il recadre et ramène à ce que doit être le film. Il a une idée très précise de ce qu’il veut, ce qui est agréable», affirme Olivier Martin.

Au pays des dragons

Ayant développé une belle complicité avec Denis Villeneuve, pour qui ils ont signé les effets spéciaux d’Incendies, d’Enemy et d’Arrival, les artistes de Rodeo FX ont été invités par le premier à créer des villes futuristes pour Blade Runner 2049. Outre cette suite tant attendue du film culte de Ridley Scott, on les retrouvera au générique de It, d’Andy Muschietti, de Justice League, de Zack Snyder, et du prochain long métrage de Xavier Dolan, The Death and Life of John F. Donovan, lequel met en vedette Kit Harington, bien connu pour son rôle de Jon Snow dans Game of Thrones.

D’ailleurs, s’il y a un projet de Rodeo FX qui fait beaucoup parler de lui, et pas seulement ici, c’est bien Game of Thrones, dont le dernier épisode de l’avant-dernière saison était diffusé hier soir. «Ça fait quatre ans qu’on travaille sur Game of Thrones ; on fait des villes, des forêts, des environnem­ents naturels. Récemment, on a fait beaucoup de créatures, comme des oiseaux. On fait aussi beaucoup d’explosions, de destructio­n, de la simulation d’eau. Sur certains projets, on a plus de latitude, mais sur cette série, c’est tellement bien planifié qu’on exécute leur vision », explique Matthew Rouleau, superviseu­r VFX, qui ignore si Rodeo FX sera de la huitième et dernière saison de cette série pour laquelle l’équipe a remporté trois prix Emmy.

«Cette année, on a fait les deuxième et septième épisodes, ce qui a totalisé neuf mois de travail pour une centaine d’artistes, poursuit-il. Moralement et techniquem­ent, c’est l’un de nos projets les plus difficiles, mais on a confiance dans nos aptitudes et on est très excités à l’idée que la planète va voir notre travail.»

À l’instar de François Dumoulin et d’Olivier Martin, Matthew Rouleau arrive au même constat: le métier peut être aussi ingrat que gratifiant : «Ce qui fait le succès de Game of Thrones, c’est que, contrairem­ent à plusieurs blockbuste­rs, qui ont des effets plus techniquem­ent impression­nants et se veulent un peu fantaisist­es, la série se veut très réaliste. Or, plus on réussit notre travail, moins les gens savent qu’on travaille.»

«Le plus beau compliment pour plein d’artistes, c’est quand on ne remarque pas le travail. Un monteur dirait la même chose», conclut François Dumoulin.

Le plus beau compliment pour plein d’artistes, c’est quand on ne remarque pas chose.» le travail. Un monteur dirait la même François Dumoulin

 ?? GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR ?? Francois Dumoulin et Olivier Martin sont respective­ment superviseu­r VFX et directeur artistique chez Rodeo FX.
GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR Francois Dumoulin et Olivier Martin sont respective­ment superviseu­r VFX et directeur artistique chez Rodeo FX.

Newspapers in French

Newspapers from Canada