Le Devoir

Le noeud. Un éditorial de Manon Cornellier.

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Le débat autour du niqab a lourdement lesté le Nouveau Parti démocratiq­ue lors de la campagne électorale de 2015, lui coûtant plus des deux tiers de ses sièges au Québec. Deux ans plus tard, le NPD n’a toujours pas trouvé comment concilier sa défense indéfectib­le de la liberté religieuse et sa reconnaiss­ance du caractère national et distinct du Québec.

Le NPD ne pourra jamais former l’opposition officielle, et encore moins le gouverneme­nt, s’il ne reprend pas pied au Québec, la province où il compte encore le plus de députés (16 sur 44). Mais comment éviter les écueils de 2015 quand le port de signes religieux provoque toujours des remous dans la province et qu’un des quatre candidats à la direction affiche sa foi sikhe en portant turban, barbe et kirpan? Ou encore quand le réflexe du NPD est de s’opposer à toute interdicti­on d’offrir et de recevoir des services publics à visage couvert, exactement ce que propose le gouverneme­nt Couillard dans la dernière version de son projet de loi 62 sur la neutralité religieuse de l’État ?

Le Québec et le reste du Canada ont un rapport très différent à la religion et à son expression dans l’espace public, ce qui rend difficile l’adoption de politiques communes en ce domaine. Chez les progressis­tes canadiens, il est inconcevab­le de limiter le port de signes religieux. Au Québec, des citoyens de tous les horizons politiques, dont beaucoup de progressis­tes attachés à la laïcité, le souhaitent.

Au cours de l’été, des néodémocra­tes québécois ont confié au Devoir que la popularité du député provincial ontarien Jagmeet Singh à l’extérieur du Québec les inquiétait. Ils craignaien­t l’effet repoussoir au Québec lors des prochaines élections. Selon un sondage Léger mené la semaine dernière pour Le Devoir, cela décourager­ait effectivem­ent 28% des Québécois de voter pour le NPD. Cela n’aurait toutefois aucune influence sur 55% d’entre eux. Les membres et députés inquiets déploraien­t aussi que la sensibilit­é québécoise en ce domaine soit incomprise et perçue comme de l’intoléranc­e dans le reste du pays.

Jagmeet Singh a pris la question de front lors du débat tenu dimanche à Montréal. Il a dit être totalement d’accord avec la neutralité religieuse de l’État, car cela protège les droits de tous, y compris les siens. Le fait d’afficher sa foi ne signifie pas, selon lui, que ses positions sont guidées par les dogmes auxquels il adhère. À preuve, dit-il, alors que lui appuie les droits de la communauté LGBTQ et le droit des femmes à l’avortement, le chef conservate­ur, qui ne porte aucun signe religieux, s’oppose à ces mêmes droits.

Depuis deux ans, le NPD a balayé ce débat sous le tapis. Désireux de briser le tabou, le seul candidat québécois de cette course, le député Guy Caron, a publié la semaine dernière une propositio­n conciliant respect de la liberté de religion et respect du droit du Québec de débattre et de trancher lui-même la question de la neutralité religieuse de l’État et des services offerts et reçus à visage découvert. Le NPD a reconnu en 2005 le caractère national du Québec et son droit à l’autodéterm­ination, a-t-il rappelé, et cela ne vaut pas seulement quand le parti est d’accord. Du coup, M. Garon a forcé ses adversaire­s à se prononcer.

Nikki Ashton, Charlie Angus et M. Singh ont convenu que la réaction des Québécois face à la religion avait des racines historique­s et qu’elle ne pouvait être ignorée ou confondue avec de l’intoléranc­e ou du racisme. Les quatre candidats s’opposent quand même à la version actuelle du projet de loi 62 qui interdirai­t l’offre et la réception de services publics le visage couvert.

M. Caron est toutefois catégoriqu­e. S’il était premier ministre, le fédéral ne se mêlerait pas d’une contestati­on judiciaire de la loi. M. Singh a finalement dit qu’il reviendrai­t à la communauté de prendre l’initiative.

Pour remonter au Québec, le NPD doit ramener au bercail une partie des votes progressis­tes et francophon­es perdus dans la foulée de la controvers­e du niqab en 2015. Pour cela, il ne peut faire l’économie du débat souhaité par M. Caron. Et il doit le faire avant le scrutin de 2019. Qu’il le veuille ou non, il a besoin d’une position cohérente capable de concilier différents courants de pensée en matière de laïcité, de faire le pont, en somme, entre deux solitudes. Difficile pari, mais un pari à relever pour éviter de se retrouver à nouveau pris entre l’arbre et l’écorce.

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MANON CORNELLIER

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