Des solutions pour réformer la loi
Ces dernières semaines, Le Devoir a pleinement joué son rôle de défenseur des libertés démocratiques en soulignant les lacunes de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels. Mais comment réformer cette loi? Force est de constater que peu de choses ont été dites sur le sujet dans le débat public. Pourtant, des solutions existent et elles ont été énoncées l’an dernier lors des audiences de la Commission des institutions de l’Assemblée nationale. Une commission parlementaire probablement trop technique pour avoir attiré les projecteurs des médias; c’est fort dommage.
Ce n’est pas dans le document d’orientation du ministre Fournier qu’il faut chercher ces solutions. Il pourrait même ajouter de nouveaux obstacles à la liberté de l’information lors de la réforme prévue. Son document suggère une nouvelle série d’exemptions à l’accès, le respect de «l’espace privé des fonctionnaires». Ce concept fourre-tout pourrait justifier le rejet de n’importe quelle demande. Et passer à côté du problème principal de la loi actuelle, qui consiste davantage en un catalogue de raisons pour justifier le secret qu’en un exercice de transparence sur les activités de l’État.
Liberté fondamentale
Trois recommandations-clés me semblent émerger des différents mémoires que j’ai lus. La première, c’est qu’il faut que l’accès à l’information soit véritablement inclus dans les libertés fondamentales des citoyens, à côté du droit à la vie, des libertés de conscience, de religion, d’expression, d’association, etc. L’inclusion de ce principe dans le chapitre premier de la Charte des droits et libertés de la personne lui donnerait préséance sur toutes les autres lois du Québec. C’est ce que recommande, parmi d’autres, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Pour sa part, la Commission d’accès à l’information souligne qu’il existe actuellement quelque 150 dérogations à l’accès dans les lois du Québec. Voilà un premier verrou qui doit sauter.
Le deuxième point crucial concerne l’arbitrage des différends entre les demandeurs d’accès et les agents de l’État qui refusent une demande. Le gouvernement Couillard voudrait diluer davantage les maigres pouvoirs de l’actuelle Commission d’accès et confier ce travail au Tribunal administratif du Québec. Il y a là un problème de jurisprudence, puisque ce tribunal est spécialiste de tout et de rien. Et surtout, la possibilité d’arguties sans fin à la suite de la judiciarisation prévisible du processus. La Commissaire à l’information du Canada est contre, la Commission d’accès à l’information du Québec est contre, il faudrait écouter ces gens-là.
La troisième recommandation, qui émane de la Commission d’accès à l’Information, est que l’ensemble des restrictions à l’accès incluses dans la loi soit soumis à la primauté de l’intérêt public. Les gouvernements et leurs administrations ont en effet à leur disposition toute une panoplie d’exemptions qu’ils invoquent à longueur d’année pour maintenir l’omertà: renseignements fournis par un tiers, secret commercial, secret gouvernemental, exclusion des renseignements basés sur des faits, confidentialité des membres du Barreau dès qu’un avocat est inscrit sur la liste des destinataires d’un document, invocation arbitraire du concept de demande abusive, délais de réponse interminables, etc.
Plusieurs recommandations intéressantes
Quels critères appliquer pour assurer la primauté de l’intérêt public? Les meilleures suggestions dans ce domaine me semblent provenir du Centre for Law and Democracy qui a étudié à la loupe la législation québécoise. Ce groupe d’avocats de Nouvelle-Écosse demande l’abolition des distinctions actuelles entre restrictions à caractère facultatif et restrictions obligatoires. Ce système serait remplacé par la soumission des refus des demandes d’accès à un double test. Existe-t-il un préjudice réel pour une des parties du fait de la divulgation? Si oui, y a-t-il un intérêt public à la divulgation ? En cas de réponse positive, ce deuxième critère aurait préséance sur le premier.
L’exemple des enjeux environnementaux illustre le mieux cette question. À l’heure actuelle, si on veut savoir la nature exacte des produits relâchés par une industrie dans un cours d’eau ou dans la nappe phréatique, on se heurte aux restrictions sur le secret commercial. Pourtant, la Convention d’Aarhus, un instrument international dont le Canada est partie prenante, reconnaît le caractère prépondérant de l’intérêt public en matière d’environnement. Le terme «environnement» va ici très loin, puisqu’il inclut tous les facteurs qui peuvent avoir une influence sur l’état de santé, la sécu- rité et les conditions de vie des êtres humains. Le Québec devrait incorporer cette convention dans ses lois.
Les mémoires présentés à la commission parlementaire contiennent une foule d’autres recommandations intéressantes. Par exemple, la suppression de l’article 34 de la loi qui exempte les documents émanant d’un membre de l’Assemblée nationale, du cabinet, d’une commission scolaire ou d’un organe municipal et de leur équipe. Ou l’élargissement de la portée de la loi à toutes les entreprises dont l’État détient au moins 50% du capital (le gouvernement Couillard privilégie le critère de 100%). Également, un cadre de divulgation proactive qui obligerait les institutions publiques à publier dans un format clair et accessible les informations essentielles à la compréhension de leurs activités sans qu’il soit besoin d’en faire la demande.
Je termine avec un enjeu soulevé par le Scientifique en chef du Québec qui se plaint de la multiplication des paliers décisionnels dans les demandes d’accès soumises par des chercheurs. Il faut rappeler que ces chercheurs sont soumis à un, voire plusieurs comités d’éthiques ayant des exigences propres et parfois contradictoires avant même de commencer leur demande d’accès à l’information auprès des organismes gouvernementaux. Dans un univers où les subventions de recherche sont généralement pour une durée de trois ans, l’ajout de délais d’attente pouvant atteindre deux ans par des organismes comme la RAMQ, la SAAQ, l’ISQ ou encore la CSST a pour effet de rendre certaines recherches impossibles. Et de préserver les secrets de famille sur des sujets politiquement sensibles, comme les revenus réels de la profession médicale ou les maladies professionnelles. L’avis d’experts comme le scientifique en chef devrait suffire à garantir le sérieux des protocoles de recherche.