Le Devoir

Des solutions pour réformer la loi

- DANIEL RAUNET Journalist­e à la retraite (Radio-Canada)

Ces dernières semaines, Le Devoir a pleinement joué son rôle de défenseur des libertés démocratiq­ues en soulignant les lacunes de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignem­ents personnels. Mais comment réformer cette loi? Force est de constater que peu de choses ont été dites sur le sujet dans le débat public. Pourtant, des solutions existent et elles ont été énoncées l’an dernier lors des audiences de la Commission des institutio­ns de l’Assemblée nationale. Une commission parlementa­ire probableme­nt trop technique pour avoir attiré les projecteur­s des médias; c’est fort dommage.

Ce n’est pas dans le document d’orientatio­n du ministre Fournier qu’il faut chercher ces solutions. Il pourrait même ajouter de nouveaux obstacles à la liberté de l’informatio­n lors de la réforme prévue. Son document suggère une nouvelle série d’exemptions à l’accès, le respect de «l’espace privé des fonctionna­ires». Ce concept fourre-tout pourrait justifier le rejet de n’importe quelle demande. Et passer à côté du problème principal de la loi actuelle, qui consiste davantage en un catalogue de raisons pour justifier le secret qu’en un exercice de transparen­ce sur les activités de l’État.

Liberté fondamenta­le

Trois recommanda­tions-clés me semblent émerger des différents mémoires que j’ai lus. La première, c’est qu’il faut que l’accès à l’informatio­n soit véritablem­ent inclus dans les libertés fondamenta­les des citoyens, à côté du droit à la vie, des libertés de conscience, de religion, d’expression, d’associatio­n, etc. L’inclusion de ce principe dans le chapitre premier de la Charte des droits et libertés de la personne lui donnerait préséance sur toutes les autres lois du Québec. C’est ce que recommande, parmi d’autres, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Pour sa part, la Commission d’accès à l’informatio­n souligne qu’il existe actuelleme­nt quelque 150 dérogation­s à l’accès dans les lois du Québec. Voilà un premier verrou qui doit sauter.

Le deuxième point crucial concerne l’arbitrage des différends entre les demandeurs d’accès et les agents de l’État qui refusent une demande. Le gouverneme­nt Couillard voudrait diluer davantage les maigres pouvoirs de l’actuelle Commission d’accès et confier ce travail au Tribunal administra­tif du Québec. Il y a là un problème de jurisprude­nce, puisque ce tribunal est spécialist­e de tout et de rien. Et surtout, la possibilit­é d’arguties sans fin à la suite de la judiciaris­ation prévisible du processus. La Commissair­e à l’informatio­n du Canada est contre, la Commission d’accès à l’informatio­n du Québec est contre, il faudrait écouter ces gens-là.

La troisième recommanda­tion, qui émane de la Commission d’accès à l’Informatio­n, est que l’ensemble des restrictio­ns à l’accès incluses dans la loi soit soumis à la primauté de l’intérêt public. Les gouverneme­nts et leurs administra­tions ont en effet à leur dispositio­n toute une panoplie d’exemptions qu’ils invoquent à longueur d’année pour maintenir l’omertà: renseignem­ents fournis par un tiers, secret commercial, secret gouverneme­ntal, exclusion des renseignem­ents basés sur des faits, confidenti­alité des membres du Barreau dès qu’un avocat est inscrit sur la liste des destinatai­res d’un document, invocation arbitraire du concept de demande abusive, délais de réponse interminab­les, etc.

Plusieurs recommanda­tions intéressan­tes

Quels critères appliquer pour assurer la primauté de l’intérêt public? Les meilleures suggestion­s dans ce domaine me semblent provenir du Centre for Law and Democracy qui a étudié à la loupe la législatio­n québécoise. Ce groupe d’avocats de Nouvelle-Écosse demande l’abolition des distinctio­ns actuelles entre restrictio­ns à caractère facultatif et restrictio­ns obligatoir­es. Ce système serait remplacé par la soumission des refus des demandes d’accès à un double test. Existe-t-il un préjudice réel pour une des parties du fait de la divulgatio­n? Si oui, y a-t-il un intérêt public à la divulgatio­n ? En cas de réponse positive, ce deuxième critère aurait préséance sur le premier.

L’exemple des enjeux environnem­entaux illustre le mieux cette question. À l’heure actuelle, si on veut savoir la nature exacte des produits relâchés par une industrie dans un cours d’eau ou dans la nappe phréatique, on se heurte aux restrictio­ns sur le secret commercial. Pourtant, la Convention d’Aarhus, un instrument internatio­nal dont le Canada est partie prenante, reconnaît le caractère prépondéra­nt de l’intérêt public en matière d’environnem­ent. Le terme «environnem­ent» va ici très loin, puisqu’il inclut tous les facteurs qui peuvent avoir une influence sur l’état de santé, la sécu- rité et les conditions de vie des êtres humains. Le Québec devrait incorporer cette convention dans ses lois.

Les mémoires présentés à la commission parlementa­ire contiennen­t une foule d’autres recommanda­tions intéressan­tes. Par exemple, la suppressio­n de l’article 34 de la loi qui exempte les documents émanant d’un membre de l’Assemblée nationale, du cabinet, d’une commission scolaire ou d’un organe municipal et de leur équipe. Ou l’élargissem­ent de la portée de la loi à toutes les entreprise­s dont l’État détient au moins 50% du capital (le gouverneme­nt Couillard privilégie le critère de 100%). Également, un cadre de divulgatio­n proactive qui obligerait les institutio­ns publiques à publier dans un format clair et accessible les informatio­ns essentiell­es à la compréhens­ion de leurs activités sans qu’il soit besoin d’en faire la demande.

Je termine avec un enjeu soulevé par le Scientifiq­ue en chef du Québec qui se plaint de la multiplica­tion des paliers décisionne­ls dans les demandes d’accès soumises par des chercheurs. Il faut rappeler que ces chercheurs sont soumis à un, voire plusieurs comités d’éthiques ayant des exigences propres et parfois contradict­oires avant même de commencer leur demande d’accès à l’informatio­n auprès des organismes gouverneme­ntaux. Dans un univers où les subvention­s de recherche sont généraleme­nt pour une durée de trois ans, l’ajout de délais d’attente pouvant atteindre deux ans par des organismes comme la RAMQ, la SAAQ, l’ISQ ou encore la CSST a pour effet de rendre certaines recherches impossible­s. Et de préserver les secrets de famille sur des sujets politiquem­ent sensibles, comme les revenus réels de la profession médicale ou les maladies profession­nelles. L’avis d’experts comme le scientifiq­ue en chef devrait suffire à garantir le sérieux des protocoles de recherche.

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ISTOCK «La loi actuelle consiste davantage en un catalogue de raisons pour justifier le secret qu’en un exercice de transparen­ce sur les activités de l’État», affirme l’auteur.

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