La découvrabilité
Parti à la découverte de l’Afrique, j’ai découvert la « découvrabilité ». Si vous ignorez ce que c’est, rassurez-vous : c’est très nouveau — le mot est apparu en 2016 dans Le grand dictionnaire terminologique de l’OQLF. La découvrabilité, c’est le « potentiel pour un contenu, un produit ou un service de capter l’attention d’un internaute». En anglais, le mot discoverability remonte à 150 ans. C’était alors un concept de droit plutôt pointu. La discoverability a pris son sens moderne il y a dix ans alors que se développaient des techniques de référencement Web.
Je suis tombé sur la découvrabilité grâce à un Béninois installé au Québec depuis quelques années, Destiny Tchéhouali. En mai dernier, lors d’un forum sur le Web francophone organisé par Culture Montréal, j’avais été impressionné par sa présentation sur l’entrepreneuriat Web francophone en Afrique. Je suis donc allé le rencontrer à son bureau du Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation (CEIM) à l’UQAM, mais la conversation s’est très vite orientée sur son dada : la découvrabilité.
Destiny Tchéhouali s’intéresse de longue date à la «géopolitique de la société de l’information» — son sujet d’études postdoctorales. En plus d’être président de la Société Internet Québec (ISOC Québec), il rédige par ailleurs une lettre de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), Culture, commerce et numérique, qu’il est bien placé pour écrire à titre de directeur de l’Observatoire des réseaux et interconnexions de la société numérique (ORISON).
Bref, je suis tombé sur un type qui pouvait faire des liens entre une série d’enjeux qui me tarabustent depuis un petit moment. Car derrière le développement de l’économie Web francophone et la réforme des politiques culturelles qui se prépare à Québec et à Ottawa, il y a la découvrabilité.
«Les francophones sont assez productifs sur le Web, mais le vrai problème du français dans l’espace numérique n’est pas la productivité, mais la découvrabilité», dit-il. «Ceux qui contrôlent les moteurs de recherche sont devenus des fournisseurs de contenu, et ils s’avantagent euxmêmes à travers des algorithmes secrets dont on ne sait rien.»
Les États essaient de répondre avec leurs vieux trucs de politiques culturelles, comme les quotas, mais personne n’a une idée claire des flux culturels ni de la façon de les mesurer. On sait que 78% de la musique, des films et des jeux que les Québécois achètent sur le Web proviennent d’une plateforme étrangère, mais quoi, de qui, on ne sait pas. Même l’UNESCO ne sait plus. «Les éditeurs ne sont même pas capables de retracer les ventes d’auteurs québécois parce qu’Amazon le cache. On veut des statistiques, mais on n’est pas capables de faire un portrait global. Il n’existe aucun outil qui mesure les contenus canadiens sur les plateformes, et les décideurs politiques n’ont donc aucun levier.»
Des solutions
Destiny Tchéhouali participe à plusieurs initiatives qui visent à corriger ce problème.
Le CEIM, par exemple, va lancer un chantier de forage de données. Il s’agit de mettre au point une série d’indicateurs pour mesurer la présence et la visibilité de produits musicaux et audiovisuels québécois dans les catalogues québécois et internationaux tels que Netflix, Spotify, iTunes/Apple Music et YouTube. « Le but est d’établir un indice de découvrabilité qui permettra aux administrations d’établir des politiques qui fonctionnent, mais aussi de savoir quels types de contenus sont demandés, où, par qui. Il faut travailler les deux, la réglementation et les contenus. Actuellement, les Européens se sont avancés dans une approche réglementaire pour demander 25 % de contenu européen, mais ils n’ont pas plus d’information que nous quant à la découvrabilité.»
En parallèle et en collaboration avec le CEIM, ISOC Québec lance un projet, appelé CLIC Québec, qui vise à améliorer la découvrabilité de la production culturelle québécoise. « On va faire le tour des bonnes pratiques au Canada et monter des formations pour les organismes culturels québécois.»
Cela fait 20 ans que les États ont perdu l’initiative du développement du Web aux mains des Google et autres Amazon, dont ils subissent les diktats. Il n’en a pas toujours été ainsi. «Dans les années 1990, le Québec était une référence sur le Web, et pas seulement en francophonie. À Montréal, au début des années 2000, ISOC Québec avait réuni les 30 ISOC de pays francophones pour élaborer des projets de collaboration pour des médias et des portails. Je ne sais trop pourquoi, mais il n’y a eu aucune suite», dit Destiny Tchéhouali.
ISOC Québec tentera de saisir la balle au bond en organisant le premier Forum sur la gouvernance d’Internet au Québec, qui se tiendra à la Société des arts technologiques à la miseptembre. «Il faut trouver le moyen de faire en sorte que les francophones pèsent davantage dans la gouvernance mondiale d’Internet.»