Le Devoir

Brexit : le bras de fer se poursuit entre Londres et l’Union européenne

- HÉLAINE LEFRANÇOIS à Londres

Un nouveau cycle de discussion­s techniques débute ce lundi à Bruxelles après une série de propositio­ns britanniqu­es. Avec, pour l’instant, aucune avancée concrète à l’horizon.

Cette fois-ci, David Davis ne vient pas à Bruxelles les mains vides. Lors de sa dernière visite, en juillet, une photo du ministre britanniqu­e chargé du Brexit et de son équipe, assis à la table des discussion­s sans dossiers sous les yeux, avait provoqué une salve de commentair­es ironiques sur le manque de préparatio­n du Royaume-Uni. Mais ces deux dernières semaines, le gouverneme­nt a publié une série de sept documents pour clarifier sa position et proposer des solutions au casse-tête économique et politique qu’est le Brexit. Des offres accueillie­s très froidement par les hauts responsabl­es de l’Union européenne, Commission en tête.

Car, comme l’a souligné Michel Barnier, le négociateu­r en chef de l’UE, « l’heure tourne ». Bruxelles souhaite

boucler les négociatio­ns d’ici octobre 2018 afin de laisser aux 27 le temps de ratifier l’accord de sortie. Le gouverneme­nt britanniqu­e espère donc rapidement passer à la vitesse supérieure. «Les premiers cycles de négociatio­ns ont montré que beaucoup de questions sur notre sortie sont inextricab­lement liées à notre relation future», a tenté de justifier David Davis dans le Sunday Times, quelques jours après la publicatio­n d’un document sur l’union douanière et d’un autre sur la frontière entre l’Irlande et l’Irlande du Nord, traversée chaque jour par 30 000 personnes. Le gouverneme­nt a détaillé des solutions pour régler cette question brûlante, l’une des priorités des négociatio­ns, tout en entamant la réflexion sur un futur accord commercial.

Rétropédal­age ?

Le ministère chargé du Brexit a également planché sur la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), l’institutio­n qui règle, entre autres différends, les litiges commerciau­x. C’est l’une des nombreuses pommes de discorde entre le Royaume-Uni et l’UE. Depuis la victoire du Brexit, le gouverneme­nt conservate­ur, Theresa May la première, répète que le pays sortira de la CJUE. Cependant, le document publié mercredi dernier est plus nuancé. « Nous allons mettre fin à la juridictio­n directe de la CJUE», peut-on lire, laissant ainsi entendre que cette cour continuera à exercer une influence indirecte.

La première ministre reviendrai­t-elle sur ses promesses? «Il sera impossible de mettre totalement fin à sa compétence tout en continuant à commercer avec l’UE. Même les États-Unis doivent parfois s’y référer», explique Piet Eeckhout, professeur de droit européen au University College de Londres.

Mais pour l’opposition, ce discours moins catégoriqu­e cache un rétropédal­age. « Ils vous ont dit que les juges européens n’auront plus d’influence sur la législatio­n britanniqu­e, et c’est faux. Tellement de promesses, comme les 350 milliards de livres par semaine qui devaient revenir au service public, s’avèrent impossible­s à réaliser», a expliqué, agacé, le député travaillis­te Chuka Umunna sur la BBC. S’il est au pouvoir, « le Labour chercherai­t un accord de transition qui maintienne les mêmes conditions de base dont nous profitons actuelleme­nt au sein de l’UE», écrit d’ailleurs Keir Starmer, responsabl­e du Brexit au Labour, dans une tribune publiée dimanche dans The Observer. Et de fustiger les propositio­ns « fantaisist­es et inatteigna­bles » avancées par le ministre conservate­ur chargé du Brexit, David Davis.

Le prix à payer

«C’est le jeu politique, tempère Anand Menon, professeur de sciences politiques à King’s College London et président du think tank UK in a Changing Europe. Mais le gouverneme­nt britanniqu­e n’a pas du tout changé de position: il veut sortir de l’union douanière, sortir du marché commun, ne plus accepter la juridictio­n de la CJUE.» En effet, Londres ne dévie pas d’un pouce de sa ligne dure. Et son positionne­ment ravit les Brexiters. C’est le cas du groupe Economists for Free Trade, dont les recherches sont largement critiquées par le milieu universita­ire. «Le soft Brexit, c’est le statu quo, et c’est inacceptab­le. Au fond, ce n’est pas si grave si nous ne trouvons pas d’accord commercial avec l’UE, ose son président, Patrick Minford. Le Royaume-Uni veut rester en bons termes avec ses voisins. C’est pour ça qu’il est prêt à payer. »

Ce genre de discours hérisse les Européens, mais aussi les économiste­s comme Monique Ebell, chercheuse au National Institute of Economic and Social Research. «Les études montrent que les pertes commercial­es liées à notre sortie excéderont les bénéfices tirés des éventuels accords avec d’autres pays, oppose-t-elle. Le point positif du document sur l’union douanière, c’est la période de transition, qui permet de gagner du temps. Mais j’ai du mal à voir quels avantages les pays de l’UE en tireront… » Le haut responsabl­e européen Guy Verhofstad­t a pour sa part d’ores et déjà jugé ces propositio­ns « fantaisist­es ».

Bruxelles risque également d’accueillir froidement les propositio­ns sur la CJUE qui est, aux yeux de Michel Barnier, le seul «moyen pour préserver la pérennité» des droits des citoyens européens, et l’une des priorités des négociatio­ns avec la question nord-irlandaise et la facture du Brexit. À l’issue d’un sommet européen en octobre, les leaders européens décideront si les progrès ont été suffisants pour entamer les discussion­s sur l’accord commercial. Mais l’un d’entre eux, le premier ministre slovène, Miro Cerar, a déjà confié au Guardian qu’il en doutait fortement.

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Michel Barnier

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