Porte ouverte: un propriétaire raconte ses relations avec les migrants et ceux qui sont nés ici.
«J’ai beaucoup moins de problèmes avec les [migrants à statut précaire] qu’avec mes locataires habituels»
«Je ne suis pas un propriétaire tout à fait normal», lance Ousmane Kagoné, en riant. À la tête de Gestion immobilière Kagoné, l’homme possède une centaine de logements à Montréal et à Longueuil qu’il n’hésite pas à louer à des migrants à statut précaire. Parmi ses locataires, des demandeurs d’asile haïtiens arrivés cet été en provenance des États-Unis. «Je veux dire par là que je comprends la situation des nouveaux arrivants et je leur donne une chance. Tout comme on m’a donné ma chance à moi aussi. »
Arrivé à Sherbrooke en 1982, ce Burkinabé d’origine se souvient de ses difficultés pour trouver un logement. « On se faisait regarder. C’était pas évident », racontet-il. Grâce à sa persévérance — «on a cogné à plusieurs portes » — et à l’aide du coordonnateur de l’université, il a réussi à trouver un logement tout meublé, chauffage compris, au centre-ville. « Aujourd’hui, je ne voudrais pas de ce logement, c’était pas bien entretenu », avoue-t-il.
C’est étrangement à Montréal, ville cosmopolite avec un grand parc locatif, qu’il a eu le plus de mal à se loger. Après avoir vécu dans Côte-desNeiges, il a voulu se trouver un petit chez lui dans Hochelaga-Maisonneuve, pour être plus près de sa nouvelle blonde québécoise. «Je cognais aux portes et dès qu’on me voyait, on me disait que le logement était déjà loué, se souvient-il. Mais si ma blonde appelait ou y retournait, on lui donnait l’information. Ça se passait très bien pour elle.»
Les meilleurs payeurs
Quand il revêt son chapeau de propriétaire, Ousmane Kagoné dit néanmoins comprendre les réticences des locateurs. «Aujourd’hui, les propriétaires cherchent une garantie. Le pire pour eux est le défaut de paiement », note le gestionnaire immobilier, qui cumule 25 ans d’expérience. Or, personne n’est à l’abri de la faillite ou d’une perte d’emploi, même le locataire ayant le meilleur dossier de crédit en ville, ajoute-t-il.
«Par expérience, très honnêtement, j’ai beaucoup moins de problèmes avec les [migrants à statut précaire] qu’avec mes locataires habituels, qui sont d’ici.» Encore récemment, il a signalé deux personnes en défaut de paiement à la Régie du logement. « Et je peux vous dire que ce n’était pas des immigrants. C’était des Québécois, de souche comme on dit.»
Selon lui, c’est justement parce que les migrants ont un statut précaire qu’ils ont une conduite irréprochable. « Ces gens-là arrivent en terrain inconnu ici et ils ont absolument besoin de s’intégrer. Ils ne veulent pas avoir de problèmes avec la justice ou la Régie. Ils auraient bien trop peur de se faire expulser.»
Au-delà de l’insécurité financière, les préjugés qu’entretiennent certains propriétaires à l’égard de la différence sont une réalité. Crainte que les nouveaux arrivants ne fassent pousser des légumes à même leur plancher de salon ou qu’ils lavent leur appartement à coup de chaudière... Ces histoires ont été entendues par des propriétaires, souligne Martin A. Messier, président de l’Association des propriétaires du Québec (APQ). «Il y a celle qui veut que [les migrants] fassent faisander de la viande près des tuyaux d’eau chaude sous l’évier», raconte-t-il.
Droits et devoirs
Cela ne signifie pas pour autant qu’il se plie à toutes leurs demandes. «Je leur dis, je vous prends, je ne sais pas qui vous êtes, mais votre logement, c’est pour habiter. Vous ne pouvez pas faire du commerce ou vendre de la drogue ou n’importe quoi d’autre. Oui, vous avez des droits, mais aussi des devoirs. Et le premier devoir, c’est de payer le loyer, explique Ousmane Kagoné. Je fais le tour avec la personne, on prend des photos et je lui montre que le logement est propre et que je veux qu’il le reste. »
Et comme les demandeurs d’asile reçoivent mensuellement une aide financière de dernier recours, le paiement du loyer ne devrait pas, en principe, poser problème, croit-il. Une aide certes temporaire, mais qui devrait suffire. «Après ça, il faut qu’ils se trouvent du travail.»
Une autre étape difficile, mais absolument pas impossible. «Je pense que tous ces genslà vont se débrouiller, ils veulent travailler. Si on leur donne du travail, ils vont travailler. Et s’ils n’ont pas les compétences, ils vont apprendre, dit-il. Moi, les gens qui arrivent ici, je leur lève mon chapeau, ils en ont passé des épreuves, vous savez. »
Cela ne les met pas à l’abri des abus. «Comme partout, il y a des propriétaires qui sont foncièrement négligents. Si vous allez dans Côtes-desNeiges, vous allez en voir, des cas. Des logements où je ne mettrais même pas mon chien », dit M. Kagoné. Bien souvent, c’est le locataire qui, par crainte de représailles, n’ose rien exiger. «Ces gens ne connaissent pas leurs droits et ils vont accepter de vivre dans ces conditions difficiles.» Dur, dans ces cas, de blâmer le propriétaire.
Sensibiliser, la clé
C’est justement la mission que s’est donnée le Regroupement des organismes du Montréal ethnique pour le logement (ROMEL) en lançant, il y a 10 ans, le Projet Harmonie, de concert avec l’Association des propriétaires du Québec (APQ). «Des bénévoles rencontrent les propriétaires, les sensibilise et les rassure. On veut s’assurer que ces personnes [demandeurs d’asile] ne se retrouvent pas sans logement et qu’il y ait de la discrimination du genre “vous êtes une grande famille avec beaucoup d’enfants, je ne vais pas vous louer”», explique Zahia el-Masri, chargée des formations et de la communication au ROMEL.
L’organisme dispose aussi d’une banque de logements qu’elle maintient à jour, en y ajoutant les offres de propriétaires déjà sensibilisés. Les chercheurs de logis sont aussi informés de leurs obligations et de leurs droits, ce qui rassure les propriétaires. «Principalement, ce qu’on dit aux propriétaires c’est que ce qu’ils ont entendu dans les médias ou les histoires des cafés, ils n’auront pas à les vivre. Parce que les locataires ont justement reçu une formation pour savoir comment ça fonctionne au Québec», dit M. Messier, de l’APQ.
Malgré tous les efforts, les préjugés sont tenaces. Il y a un mois, Ousmane Kagoné a vu une pancarte d’un logement à louer dans son secteur de Longueuil et a décidé d’appeler «par curiosité». «Dès que la personne a entendu mon nom, elle m’a dit que c’était loué en me disant qu’elle allait justement enlever la pancarte. Mais elle est encore là, raconte l’homme, en riant jaune. Moi, ça fait 35 ans que je suis au Québec. Et je n’ai pas besoin de logement ! »
«Ces
gens ne connaissent pas leurs droits et ils vont » accepter de vivre dans ces conditions difficiles Ousmane Kagoné, président de Gestion immobilière Kagoné