Lire les figures imposées de la rentrée ou pas?
Amélie Nothomb et Éric-Emmanuel Schmitt entretiennent à nouveau le diktat de l’incontournable
Ç a fait 26 ans que ça dure. Une autre rentrée littéraire, un autre roman d’Amélie Nothomb — Frappe-toi le coeur (Albin Michel) cette année — qui apparaît pour trôner comme une évidence sur les tables des librairies. ÉricEmmanuel Schmitt, autre romancier prolifique, est juste à côté, avec La vengeance du pardon (Albin Michel), cherchant dans la masse des sorties de l’automne à être plus que visible et à titiller, lui aussi, le côté grégaire du lecteur et de la lectrice en appelant avec ostentation à une rencontre sur les chemins de la conformité et du « suivisme». Joli paradoxe, d’ailleurs, dans le monde du livre qui promet d’élever l’esprit, de le rendre plus libre, avec parfois des lectures imposées.
Alors, faut-il succomber à ces appels de la nouveauté prévisible, du diktat de l’incontournable suivant la recette habituelle de la mise en marché, de la fin de l’été au pied d’un sapin de Noël? Oui, si l’on accepte l’apparence des ficelles tirées par les deux romanciers familiers pour manipuler les sentiments à grand coup d’enfance brisée, de trouble de l’attachement, de rapport trouble à la mère, au père, de résilience… Entre autres choses.
Amélie Nothomb fait passer tout ça dans la vie de Diane qui, en venant au monde, attise la jalousie d’une mère qui s’aime un peu trop. Plus tard, l’arrivée d’une soeur va creuser ce déséquilibre affectif et subtilement teinter une carrière universitaire et une destinée où se perdre dans le travail est une façon de ne pas affronter des formes plus douloureuses d’engagement.
Éric-Emmanuel Schmitt tient à peu près le même langage en quatre nouvelles. La première révèle Les soeurs Barbarin, Lilly et Moïsette, des jumelles, en compétition dans un environnement où l’amour est à géométrie variable. Dans Mademoiselle Butterfly, c’est le rejet d’un enfant par son père et d’une mère par celui qui l’a mise enceinte, qu’il exploite sur fond de grave crise affectant la haute direction d’une banque. Plus loin, la perte d’un enfant donne le ton de La vengeance du pardon, nouvelle qui partage son titre avec l’ensemble du bouquin, face à face troublant d’une mère avec le tueur de sa fille, qui précède une relecture du Petit Prince intitulée Dessine-moi un avion.
Douceur, légèreté: de Nothomb à Schmitt, c’est encore une fois de ces deux choses qu’il est question, malgré la dureté des sentiments, la violence des angoisses existentielles qui se fondent dans une écriture simple et efficace, dans un verbe maîtrisé qui trace les contours d’images consensuelles. L’une et l’autre exploitent avec cette nonchalance admirable les grands mythes de l’engagement, de la filiation, de la fatalité, de la convoitise, de l’abnégation, sans la peur de réécrire l’opéra de Puccini, de convoquer Saint-Exupéry ou de citer Alfred de Musset et son «Frappetoi le coeur, c’est là qu’est le génie» pour expliquer, ici, la carrière d’une cardiologue.
Le Nothomb cuvée 2017 se prend sur un coin de table, comme une barre tendre juste assez sucrée pour donner un sentiment de satiété que l’on risque d’oublier très vite. Le Schmitt de la rentrée offre, lui, un peu plus de consistance, mais surtout ce génie qui tient, oui, dans le coeur, interpellé par les deux bouquins, mais surtout dans l’art de réécrire de manière intarissable ces histoires universelles dont on connaît forcément la fin.