Le mieux est l’ennemi du bien
Messieurs Brault et Loft, du Conseil des arts du Canada, reconnaissent que la libre appropriation a joué un rôle essentiel dans le développement des arts. Mais à la vue des torts historiques que les migrants européens ont fait subir aux nations autochtones dans ce qui est aujourd’hui le Canada, ils estiment souhaitable de faire exception à la libre appropriation en ce qui concerne les codes artistiques des Premières Nations. Tout projet d’appropriation devrait être soumis au regard des communautés concernées, à leur approbation plus ou moins explicite.
Je crains que ces bonnes intentions aient un effet contraire à celui recher- ché. Les artistes non autochtones ne voudront plus aborder des formes ou des thèmes qui touchent aux Premières Nations. Ou alors ils se censureront de façon subtile. Ainsi verra-t-on se perpétuer l’étanchéité des codes et l’absence de confrontation artistique dynamique. Le mieux est ici l’ennemi du bien.
Si les codes artistiques prennent naissance dans une culture, ils n’en prétendent pas moins à l’universalité. L’histoire abonde en exemples de transferts de codes artistiques: la sculpture égyptienne réinterprétée par les Grecs; les règles de la sculpture classique empruntées par les Romains au Grec Polyclète ; la fresque de la Renaissance empruntée aux Romains; l’Inde et son architecture venue du Moyen-Orient; les créations sur porcelaine passées des Chinois aux Européens; les estampes japonaises comme influence des impressionnistes ; la figuration africaine dans l’art de Picasso; le jazz, musique africaine transformée à l’américaine; la bande dessinée japonaise aux racines européennes; l’art contemporain chinois aux allures occidentales. Aucun artiste n’a demandé la permission d’opérer ces transferts. Raymond Aubin Gatineau, le 10 septembre 2017