Le Devoir

Les trois quarts du miel contaminés

- SARAH R. CHAMPAGNE

Les néonicotin­oïdes sont partout sur la planète. À l’échelle mondiale, ce type de pesticide a été retrouvé dans 75% des échantillo­ns de miel analysés par une équipe suisse.

Largement utilisés au Canada, ces insecticid­es s’attaquent au système nerveux des abeilles et d’autres insectes. C’est en Amérique du Nord que la proportion de miel contaminé est la plus élevée, soit pour 86% des échantillo­ns, révèle une étude publiée aujourd’hui dans la prestigieu­se revue Science.

Les seuils autorisés pour la consommati­on humaine sont toutefois respectés, rassure l’équipe suisse du Jardin botanique et de l’Université de Neufchâtel (UniNE). Sur 198 échantillo­ns, ceux testés «positifs» à l’un des cinq néonicotin­oïdes les plus répandus présentaie­nt une concentrat­ion moyenne de 1,8 ng/g.

L’effet des interactio­ns de contaminat­ions multiples sur la santé humaine et sur les autres organismes vivants est inconnu, souligne par ailleurs l’étude. Un fait inquiétant, disent les chercheurs, puisque 55 % des échantillo­ns contaminés contenaien­t plus d’un type de néonicotin­oïdes (de 2 à 5).

«Le rôle des effets cocktails n’est pas appréhendé dans les procédures d’homologati­on de ces produits. On teste les effets non ciblés [qui ne sont pas ceux recherchés par le produit] sur d’autres organismes en considéran­t chacune des molécules indépendam­ment des autres », précise Alex Aebi, coauteur de l’étude.

La communauté scientifiq­ue n’est donc pas encore arrivée à un consensus à propos des effets sur l’humain. L’Agence européenne de sécurité des aliments a tout de même avisé dès 2013 que certains des néonicotin­oïdes pouvaient avoir une incidence sur le développem­ent du système ner veux humain.

Au Canada, le miel testé par l’Agence canadienne d’inspection des aliments dans les dernières années présente aussi des traces de pesticides, mais toujours en deçà des seuils permis.

« Mes ruches sont dans un cadre idyllique entre la ville de Neufchâtel et un agriculteu­r biologique. Malgré tout, mon miel est contaminé. C’est terrible. Alex Aebi, apiculteur français et coauteur de l’étude

Une réduction nécessaire

Le constat est « alarmant » particuliè­rement pour les abeilles, affirme M. Aebi, chercheur au Laboratoir­e de biodiversi­té du sol de l’UniNE. «Tous les continents sont affectés, il n’y a pas un endroit qui ne soit pas contaminé», dit-il, au téléphone avec Le Devoir.

Une exposition chronique, même à une faible dose, est potentiell­ement délétère

pour les abeilles, poursuit-il. L’analyse cite des études scientifiq­ues qui ont documenté des effets graves sur ces pollinisat­eurs à partir d’une concentrat­ion d’à peine 0,1 ng/g.

Pour les éleveurs d’abeilles québécois, cette nouvelle étude démontre que «la pression exercée pour réduire l’utilisatio­n des néonicotin­oïdes est vraiment nécessaire», affirme Joël Laberge. Propriétai­re de plus de 2000 ruches et membre de la Fédération des apiculteur­s québécois, il explique qu’il redouble d’efforts depuis plusieurs années seulement pour maintenir ses colonies, notamment en administra­nt des probiotiqu­es naturels.

Ce sont ces efforts qui expliquent, selon lui, que le stock global d’abeilles domestique­s ne diminue pas, malgré des taux de mortalité trois ou quatre fois plus élevés qu’il y a 20 ans.

La lançeuse d’alerte écope

Les abeilles agissent comme des «bioindicat­rices de l’environnem­ent », explique Madeleine Chagnon, professeur­e de biologie à l’UQAM.

Au Québec, les «néonics» sont présentes dans toutes les rivières en zone agricole échantillo­nnées par le ministère de l’Environnem­ent en 2015 et 2016. Ils sont ensuite absorbés par les plantes, à leur tour butinées par les abeilles, qui rapportent du pollen ou de l’eau contaminés jusqu’à leur ruche.

Mme Chagnon précise que ces pesticides se retrouvent dans des cultures, notamment les fruits et légumes, consommées en plus grande quantité que le miel.

Et les miels identifiés «biologique­s»? La certificat­ion n’était pas dans les critères de l’équipe interdisci­plinaire, mais plusieurs des miels analysés étaient de culture écologique, dont le miel du chercheur Aebi lui-même.

«Je suis apiculteur amateur, pas labellisé [certifié], mais biologique dans mes pratiques. Mes ruches sont dans un cadre idyllique entre la ville de Neufchâtel et un agriculteu­r biologique. Malgré tout, mon miel est contaminé. C’est terrible.»

Il s’inquiète également pour les abeilles et les bourdons sauvages, des population­s qui ne sont pas suivies par des apiculteur­s.

Des insectes à la base de la chaîne alimentair­e humaine sont aussi tués ou affaiblis par ces pesticides, ce qui représente une menace pour l’ensemble de la biodiversi­té.

Une analyse systématiq­ue de la littératur­e scientifiq­ue publiée depuis 2014 a récemment confirmé que les néonicotin­oïdes sont toxiques pour d’autres invertébré­s, comme les vers de terre, ainsi que pour des insectes aquatiques.

À l’étude au Canada

Les conséquenc­es dévastatri­ces pour l’abeille sont déjà reconnues par l’Agence de réglementa­tion de la lutte antiparasi­taire (ARLA) de Santé Canada, qui a recommandé l’abandon graduel de l’imidaclopr­ide, l’une des trois substances de cette « famille » utilisées au pays.

Les deux autres insecticid­es néonicotin­oïdes les plus largement utilisés au pays, la clothianid­ine et le thiaméthox­ame, font présenteme­nt l’objet d’un examen spécial, jugé prioritair­e par l’ARLA.

Les nouvelles règles prévues par Québec prévoient quant à elles que les néonicotin­oïdes pourront être utilisés si leur usage est justifié au préalable par un agronome.

Cette restrictio­n ne permettra pas au gouverneme­nt d’atteindre ses objectifs, selon l’Union des producteur­s agricoles (UPA) : « D’abord parce que la majorité des vendeurs de pesticides sont des agronomes [c’est comme permettre à un pharmacien de prescrire un médicament] », écrit son porte-parole, qui déplore en outre une augmentati­on des formalités associées.

Les chercheurs de l’étude publiée dans Science souhaitent maintenant que les législateu­rs se penchent sur cette question, à la fois d’abondance des néonicotin­oïdes sur le terrain et sur cet effet cocktail. En France, une loi bannit complèteme­nt leur utilisatio­n à partir de 2020.

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JOHN MINCHILLO ASSOCIATED PRESS C’est en Amérique du Nord que la proportion de miel contaminé est la plus élevée, soit pour 86% des échantillo­ns, révèle une étude publiée aujourd’hui dans la prestigieu­se revue Science.

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