Le Devoir

Une décision qui s’imposait.

- L’éditorial de Manon Cornellier.

Quand TransCanad­a a demandé, en septembre, la suspension de l’étude de son controvers­é projet Énergie Est, on soupçonnai­t, même si rien ne le garantissa­it, l’abandon prochain de ce pipeline. Le couperet est tombé jeudi. Finalement! Mais ne nous y trompons pas, il s’agit avant tout d’une décision d’affaires qui aurait dû être prise bien avant.

Les conservate­urs déchiraien­t leur chemise jeudi, accusant le gouverneme­nt libéral d’être responsabl­e de cette décision en imposant des normes plus élevées. Ils allaient jusqu’à dire qu’il favorisait des concurrent­s comme le Venezuela et l’Arabie saoudite. Les motifs invoqués par l’entreprise, à savoir les changement­s apportés en août au processus d’évaluation du projet de l’Office national de l’énergie (ONE), leur ont servi de prétexte. Mais que demandait l’ONE? Il exigeait plus d’informatio­n sur les risques associés aux accidents ou défaillanc­es, l’évaluation de ces scénarios, leurs conséquenc­es possibles, les mesures d’atténuatio­n et d’interventi­on suggérées. L’Office annonçait aussi qu’il prendrait en considérat­ion les émissions de gaz à effet de serre (GES) en amont et en aval du projet, conforméme­nt aux nouvelles balises mises en place en janvier 2016 par le gouverneme­nt Trudeau.

En capitulant devant ces questions et exigences, TransCanad­a laisse entendre, malgré elle, qu’il aurait été trop onéreux ou impossible d’y répondre. Exactement ce que craignaien­t les opposants au projet, des villes qui s’inquiétaie­nt de l’impact d’un déversemen­t sur l’approvisio­nnement en eau potable aux agriculteu­rs qu’inquiétait une contaminat­ion possible de leurs terres. Et que dire de l’accroissem­ent des émissions de GES alors que le Canada est en voie de rater ses cibles, selon le dernier rapport de la commissair­e à l’environnem­ent et au développem­ent durable ?

N’en déplaise à Gérard Deltell, le bitume acheminé par Énergie Est n’était pas destiné aux raffinerie­s québécoise­s. Au moins 80% de ce pétrole devait être exporté et le reste, alimenter une raffinerie du Nouveau-Brunswick. Économique­ment, le Québec n’avait rien à gagner à long terme de cet investisse­ment évalué à 15,7 milliards, mais devait assumer une grande partie des risques.

Le premier ministre de la Saskatchew­an, Brad Wall, pousse les hauts cris, et les libéraux et le Québec ont beau dos dans cette affaire, mais si TransCanad­a avait vraiment eu besoin de ce projet, elle aurait tenté d’obtenir l’autorisati­on nécessaire à la constructi­on de l’oléoduc.

La vérité est que le prix du pétrole décourage actuelleme­nt un tel investisse­ment et que l’appui du gouverneme­nt Trudeau à l’autre projet de TransCanad­a, le fameux pipeline Keystone XL, et l’autorisati­on accordée à l’expansion de la ligne 3 d’Enbridge et du pipeline TransMount­ain de Kinder Morgan rendent pour ainsi dire Énergie Est inutile.

Selon les évaluation­s de l’ONE, la production pétrolière canadienne, et pas seulement celle des sables bitumineux, devait atteindre environ 4,08 millions de barils par jour (bpj) en septembre. La capacité actuelle des pipelines serait d’environ 4 millions de bpj. Les sables bitumineux ont donc besoin de pipelines pour prendre de l’expansion. L’ONE estime que la production canadienne atteindra environ 5,9 millions de bpj en… 2040. Or, les trois pipelines cités plus haut porteront la capacité totale à près de 5,8 millions de bpj. Dans ces conditions, qui a besoin des 1,1 million de bpj d’Énergie Est ?

En s’attaquant aux exigences environnem­entales dans le dossier d’Énergie Est, les conservate­urs ignorent cet aspect pratique tout en affichant leur habituel aveuglemen­t face aux changement­s climatique­s. Ils se montrent en retard sur l’évolution des mentalités à l’échelle planétaire. L’avenir n’est pas aux sables bitumineux, mais aux énergies renouvelab­les.

Le monde s’est engagé à Paris à réduire les émissions de GES et à se diriger le plus rapidement possible vers une économie faible en carbone. Par conséquent, plus une seule évaluation de projet énergétiqu­e ne peut en faire fi. Pour être cohérent avec ses objectifs, le gouverneme­nt doit aller un cran plus loin et mettre fin à l’évaluation à la pièce des projets énergétiqu­es. Ils doivent être examinés comme un tout et en fonction d’un niveau de production conforme aux objectifs canadiens en matière de réduction des GES. Si on veut les atteindre, bien sûr.

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