Le Devoir

Une porte ouverte à la Catalogne?

Par ses actions musclées, Madrid pourrait rendre possible une applicatio­n du principe du droit des peuples à l’autodéterm­ination

- NELSON MICHAUD Professeur titulaire à l’École nationale d’administra­tion publique

La situation en Catalogne, depuis le référendum du 1er octobre dernier, est volatile. Le contexte a pris un tournant mardi, alors que le roi Felipe a joué la carte de l’unité nationale en martelant de façon divise son rejet des positions indépendan­tistes. Cette prise de position nous offre un contraste frappant avec l’approche, inclusive, privilégié­e par le roi de Belgique il y a quelques années. Afin d’éclairer cet environnem­ent marqué de tensions fortes, plusieurs analyses ont fait référence au principe du droit des peuples à l’autodéterm­ination. S’il était possible de dire qu’un tel recours était inapplicab­le au départ, se pourrait-il que l’attitude de Madrid ouvre la possibilit­é d’une applicatio­n de ce principe ?

« Sommes-nous en présence d’un régime politique, juridique ou culturel discrimina­toire ?

L’origine du principe

Il faut d’abord préciser que ce principe établissan­t le droit des peuples à l’autodéterm­ination trouve son origine dans deux documents des Nations unies. Le premier est la Charte qui, dès 1945, mentionne que l’un des buts de l’ONU est de «développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes… » (art. 1 al. 2). Il faudra attendre la XXVe Assemblée générale pour que cet énoncé soit explicité dans la Déclaratio­n relative aux principes du droit internatio­nal touchant les relations amicales et la coopératio­n entre les États conforméme­nt à la Charte des Nations unies.

Ce second document date de l’époque de l’émancipati­on des colonies notamment africaines, et l’interpréta­tion qu’il donne du principe est alors particuliè­rement utile. L’autodéterm­ination évoquée s’applique essentiell­ement à une situation coloniale. Il est en effet précisé à cet égard qu’il faut « mettre fin au colonialis­me en tenant dûment compte de la volonté librement exprimée des peuples intéressés » ; la création d’un État souverain — donc libéré du lien colonial — constitue pour ce peuple un moyen « d’exercer son droit à disposer de lui-même ».

Le document apporte une distinctio­n aussi claire qu’importante: «Rien dans les paragraphe­s précédents ne sera interprété comme autorisant ou encouragea­nt une action, quelle qu’elle soit, qui démembrera­it ou menacerait, totalement ou partiellem­ent, l’intégrité territoria­le ou l’unité politique de tout État souverain et indépendan­t se conduisant conforméme­nt au principe de l’égalité de droits et du droit des peuples à disposer d’euxmêmes énoncé ci-dessus et doté ainsi d’un gouverneme­nt représenta­nt l’ensemble du peuple appartenan­t au territoire sans distinctio­n de race, de croyance ou de couleur. » Il s’agit d’une limitation fort importante. Si les colonies pouvaient mettre en oeuvre leur volonté d’autodéterm­ination, c’est parce que « le territoire d’une colonie ou d’un autre territoire non autonome possède, en vertu de la Charte, un statut séparé et distinct de celui du territoire de l’État qui l’administre.» Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, le Burundi occupant un territoire distinct de celui de la Belgique, il a pu s’émanciper.

Par ailleurs, toute séparation d’un territoire faisant partie d’un État souverain préexistan­t qui laisse subsister celui-ci est un acte de sécession. Cette dynamique est habituelle­ment reçue avec beaucoup de réserve par la communauté des États puisqu’elle heurte de plein fouet un autre principe fondamenta­l, tout aussi important que l’autodéterm­ination: celui de l’intégrité territoria­le des États. Né dans les entrailles des traités de Westphalie dès 1648, cet autre principe est aussi traduit dans la Charte de l’ONU (at 2, par. 4) et ramené, comme nous venons de le voir, dans la Déclaratio­n de 1970. Le droit internatio­nal a clairement établi qu’il n’est pas possible de déduire du droit à l’autodéterm­ination un droit à la sécession pour un peuple faisant déjà partie d’un État souverain.

Le cas catalan

À première vue, le concept d’autodéterm­ination ne devrait donc pas s’appliquer à la Catalogne. L’entité fait partie du territoire espagnol et n’est pas une entité distincte, et l’Espagne est un État souverain à qui s’applique le concept d’intégrité territoria­le. En principe, les conditions exigées par le droit internatio­nal ne semblent pas être présentes.

Il faut par ailleurs se pencher sur une autre affirmatio­n contenue dans la Déclaratio­n onusienne : «soumettre des peuples à la subjugatio­n, à la domination ou à l’exploitati­on étrangère constitue une violation de ce principe ainsi qu’un déni des droits fondamenta­ux de l’homme, et est contraire à la Charte». Cet élément pourrait-il ouvrir au droit à l’autodéterm­ination ?

Poser des entraves à la libre expression démocratiq­ue par le vote et utiliser la violence, comme nous en avons été témoins, constitue-til une soumission à la subjugatio­n? Est-ce un déni des droits fondamenta­ux de la personne? Sommes-nous en présence d’un régime politique, juridique ou culturel discrimina­toire? Ces questions méritent d’être posées. Les réponses pourraient sembler évidentes. Doit-on alors conclure à une violation du principe d’autodéterm­ination pour autant? Le fait que l’État espagnol n’est pas, constituti­onnellemen­t, une puissance étrangère pourrait enlever de l’emprise à cette affirmatio­n.

La véritable question à nous poser mérite donc une redéfiniti­on. Il ne s’agit plus de nous demander si l’autodéterm­ination est un droit fondamenta­l du peuple catalan, mais bien plutôt si, par ses actions musclées, le gouverneme­nt espagnol n’a pas ouvert une porte qui semblait fermée par ailleurs. Voilà de quoi nourrir la réflexion de juristes internatio­naux et, qui sait, occuper les juges de la Cour internatio­nale de justice. Le résultat de leurs analyses pourrait avoir des répercussi­ons à plusieurs autres endroits dans le monde.

 ?? RAYMOND ROIG AGENCE FRANCE-PRESSE ?? La Garde civile espagnole tire un homme à l’extérieur d’un bureau de vote à Barcelone.
RAYMOND ROIG AGENCE FRANCE-PRESSE La Garde civile espagnole tire un homme à l’extérieur d’un bureau de vote à Barcelone.

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