Le Devoir

Ces aînés qui retournent sur les bancs d’université.

- ISABELLE PARÉ

Oubliez les cours sur les secrets du bridge, sur « l’informatiq­ue pour les nuls» ou sur les subtilités de l’aquarelle, les aînés d’aujourd’hui réinvestis­sent les avenues du savoir; dans les université­s, à l’éducation permanente ou sur les lieux d’instructio­n sous toutes leurs formes. Plus que jamais, les têtes blanches flirtent avec la matière grise.

Le vieillisse­ment de la société aidant, la demande pour l’enseigneme­nt de haut niveau est en plein essor. Arrivée en vrac sur les rives paisibles de la retraite, toute une cohorte de jeunes aînés recherche bien plus que de simples divertisse­ments ou des loisirs pour occuper tout le temps qui s’offre à eux.

Éveillés et plus en forme que la génération précédente, ces «jeunes vieux» investisse­nt en masse la multiplici­té des lieux de savoir. À l’Université de Montréal, on compte cette année plus de 620 étudiants de plus de 55 ans inscrits au baccalauré­at, à la maîtrise et au doctorat, dont les deux tiers sont des femmes. Pas moins de 177 sont inscrits à la Faculté des arts et sciences. Une quinzaine est même retournée s’exercer les méninges dans un programme spécialisé de la Faculté de médecine.

Le retour des diplômés

L’Université Concordia remporte cet automne la palme avec pas moins de 848 étudiants de plus de 50 ans dans ses rangs, dont un a même dépassé l’âge vénérable de 90 ans. Une cohorte dont le nombre se maintient depuis 2007, bien que le nombre de ceux inscrits au doctorat (65) soit en hausse.

À l’Université McGill, pas moins de 418 étudiants de plus de 50 ans ont investi les classes de l’institutio­n presque bicentenai­re l’an dernier. L’UQAM a attiré cette session-ci 523 étudiants

aînés dans son giron, un nombre qui n’a pas tellement augmenté depuis 2007. Mais le contingent — bien que petit — des aînés inscrits à la maîtrise ou au doctorat a doublé dans les tranches d’âge de 60 ans et plus. Pas moins de 130 étudiants de plus de 50 chandelles — le tiers a même franchi la soixantain­e — poursuiven­t une thèse de doctorat dans l’institutio­n de la rue Saint-Denis.

Une pionnière

Sans le savoir, Rita Hardy, aujourd’hui âgée de 92 ans, fut une précurseur­e en la matière. La nonagénair­e était drôlement en avance sur son temps quand elle est retournée, à 60 ans, faire son baccalauré­at en enseigneme­nt de l’anglais langue seconde à l’Université du Québec à Chicoutimi. «Le vendredi, mes patrons chez Alcan m’offraient une retraite anticipée et, le lundi matin, je commençais l’université à temps plein! Je voulais lancer ma propre entreprise de traduction », raconte cette Saguenéenn­e d’adoption née au Nouveau-Brunswick.

«C’était jeune, 60 ans! À l’époque, les gens trouvaient ça spécial, mais ça garde les neurones en forme», lance Rita, qui a depuis trouvé matière à maintenir ses synapses en ébullition en rédigeant son autobiogra­phie, un cadeau offert il y a trois ans à ses enfants et petitsenfa­nts.

À 62 ans, Manon, doublement diplômée en psychologi­e et en marketing à HEC, a décidé elle aussi de renouer avec l’Université de Montréal pour réaliser un vieux rêve. Elle incarne tout à fait cette génération qui fut parmi les premières à bénéficier en grand nombre d’une formation universita­ire et qui retourne aujourd’hui à leur alma mater. «J’étais déjà retournée aux études à 40 ans pour changer de carrière, mais là, c’est pour le défi intellectu­el. Une façon de faire une synthèse du travail accompli et de laisser une sorte de legs», dit celle dont la thèse portera sur les processus d’automotiva­tion chez les artistes travailleu­rs autonomes.

C’est plutôt pour conjurer le sort que Ginette Soucy-Orfali a renoué avec les études. À 45 ans, après avoir combattu deux cancers, on la déclare inapte à continuer son travail de haut cadre dans la fonction publique fédérale. La toxicité de la chimiothér­apie a affecté sa mémoire à court terme. «Je me suis sentie comme si je ne valais plus rien», confie-t-elle. Elle décidera de retrousser les manches et d’amorcer un baccalauré­at en traduction pour faire mentir les sombres pronostics. «J’ai terminé mon baccalauré­at en traduction à 59 ans, et je réalise depuis des contrats pour toutes sortes d’organisati­on. J’apprends sur tout. Pour moi, ç’a été une façon de combattre.»

Un engouement croissant

À l’Université du troisième âge, un lieu d’éducation populaire affilié à la Faculté de l’éducation de l’Université de Sherbrooke offrant cours, ateliers et conférence­s aux aînés, on observe depuis plusieurs années cet engouement croissant.

« Au début des années 2000, nous avons vécu l’arrivée d’une vague de jeunes retraités de la fonction publique qui voulaient approfondi­r leurs connaissan­ces, acquérir des savoirs. Les deux tiers de notre clientèle ont déjà une formation universita­ire », insiste Monique Harvey, directrice de l’Université du troisième âge (UTA), affiliée à l’Université de Sherbrooke.

D’une soixantain­e d’étudiants éparpillés dans quelques cours d’anglais lors de la naissance de l’UTA en 1976, la clientèle de cette université «ouverte à tous» a bondi, passant de 8000 inscriptio­ns en 2005 à 20 000 aujourd’hui, soit plus que l’équivalent de plusieurs composante­s de l’Université du Québec.

Présent dans 11 régions, ce lieu d’accès au savoir compte désormais plus de 29 antennes où sont dispensés 750 cours de niveau universita­ire à l’aide de 600 bénévoles et 400 formateurs. Même si la formation offerte ne vise pas l’obtention d’un diplôme, l’UTA a résolument pris le virage de la formation de haut niveau au tournant des années 2000.

Des élèves exigeants

«Dès que le niveau n’est pas assez élevé, on se le fait dire rapidement! On reçoit vite des commentair­es si le prof se contente de lire les notes. Avant, on offrait des ateliers d’aquarelle, de dessin ou d’initiation à l’informatiq­ue. Mais aujourd’hui, on est vraiment dans l’acquisitio­n du savoir pur et dur. L’histoire et la géopolitiq­ue, c’est ce qui est le plus demandé», soutient Mme Harvey.

«Changement­s climatique­s», «Avancées des sciences au XXe siècle», «Histoire de la France-contempora­ine» et «Savoirs de femmes: de la sainte à la sorcière»: un coup d’oeil aux titres des cours de la session d’automne démontre que l’on navigue loin du simple club social ou de thèmes convenus. Pour le cours «Clés de lecture de la littératur­e de Sartre», il faudra se reprendre la session prochaine, le cours affiche complet!

Cours, séminaires, conférence­s, ateliers: la formation de l’UTA rejoint une clientèle à 75% féminine et des étudiants de plus en plus « âgés ». « Le gros de la clientèle tourne autour de 65 à 75 ans, mais nous avons des gens inscrits âgés de 90 ans et beaucoup d’octogénair­es », insiste la directrice de l’UTA.

Plus que de secouer les méninges, cet accès au savoir permet aux aînés de rompre avec l’isolement, de promouvoir le vieillisse­ment actif et de faciliter les échanges entre les gens d’une même ville ou d’une même région. «On est vraiment ancrés dans les communauté­s, c’est ce que les gens apprécient », assure Monique Harvey, dont l’organisme ne parvient pas à répondre à la demande, sans cesse croissante, pour des raisons souvent logistique­s.

«Ce ne sont pas les bénévoles qui manquent, mais dans certaines régions, on n’a pas la capacité d’accueillir plus d’étudiants, dit-elle. À certains endroits, on pourrait offrir quatre ou cinq cours par semaine, mais on a du mal à trouver les locaux appropriés pour y arriver!»

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FRANCIS VACHON LE DEVOIR Aujourd’hui âgée de 92 ans, Rita Hardy était à l’avant-garde quand elle a commencé, à 60 ans, un baccalauré­at pour lancer sa propre entreprise.
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On pourrait entendre une mouche vo

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