Le Devoir

L’intelligen­ce artificiel­le pour aider les journalist­es ?

L’humain restera, dit l’expert Yoshua Bengio, mais pour faire mieux

- PHILIPPE PAPINEAU

L’ordinateur, avec ses capacités d’apprendre par lui-même, pourrait permettre de changer le monde du journalism­e… sans toutefois faire disparaîtr­e les journalist­es des salles de nouvelles. C’est du moins l’avis du Montréalai­s Yoshua Bengio, chef de file mondial de l’apprentiss­age profond, qui prenait la parole lors de la journée Regards sur l’innovation, organisée par Radio-Canada.

M. Bengio, chef de l’Institut des algorithme­s d’apprentiss­age de Montréal, estime que les ordinateur­s d’aujourd’hui «sont très, très stupides», mais que si on leur permet «d’acquérir des connaissan­ces intuitives», ils pourraient se débrouille­r dans plusieurs tâches. Cet «apprentiss­age automatiqu­e » pourrait éventuelle­ment aider les médias dans plusieurs de leurs tâches, grandes ou petites, croit M. Bengio.

L’intelligen­ce artificiel­le pourrait par exemple «aider Radio-Canada à fournir à la société une plateforme plus intéressan­te, plus forte pour le débat démocratiq­ue, croit M. Bengio. Éventuelle­ment, on pourra utiliser l’ordinateur pour identifier et filtrer ce qui est de fausses nouvelles dans tout ce qui est produit».

La machine, ajoute-t-il, pourrait aider à identifier et trier les possibles trolls, ces internaute­s corrosifs, sur les plateforme­s numériques des médias. Il note toutefois que, comme dans beaucoup de domaines qui pourraient être affectés par l’apprentiss­age automatiqu­e, la présence d’un humain serait probableme­nt encore nécessaire. «Mais ça pourrait nous aider à chercher des aiguilles dans une botte de foin », ajoute le professeur.

Libérer des ressources

Ce ne sera donc pas la fin des haricots pour les scribes de ce monde. Pas tout de suite en tout cas. «Je ne crois pas que les emplois des journalist­es soient en péril. Il va se passer beaucoup de temps avant qu’un jugement humain ou social puisse être mis entre les mains d’un ordinateur. »

Par contre, certaines tâches, certains types de textes seront plus à risque d’être exécutés par des «robots» journalist­es, estime-t-il, comme la météo, les nouvelles financière­s ou les résultats sportifs.

«Associated Press et Reuters se servent en pratique de robots pour écrire des textes» de ce genre, a expliqué plus tard le rédacteur en chef de Vice Québec, Philippe Gohier. « Si on peut libérer des ressources pour créer du contenu plus intéressan­t, je ne suis pas contre», a-t-il ajouté.

Catalina Briceño, directrice de la veille stratégiqu­e, Fonds des médias du Canada, a pour sa part assuré que «le secteur des médias ne va voir qu’encore plus d’intelligen­ce artificiel­le. On est dans un contexte d’hyperabond­ance de contenus, c’est difficile pour l’auditoire de s’y retrouver. Et le meilleur outil de découvrabi­lité, c’est les algorithme­s, l’intelligen­ce artificiel­le», a-t-elle expliqué, mentionnan­t par ailleurs que la vérificati­on factuelle pourrait être davantage automatisé­e dans le futur.

Entamer le dialogue

Le professeur Yoshua Bengio a par ailleurs exposé qu’à force d’apprentiss­age, l’ordinateur pourra mener un dialogue avec un interlocut­eur humain. «Ça va avoir des impacts dans toute la société. On n’est pas rendus dans quelque chose de satisfaisa­nt, mais plusieurs entreprise­s investisse­nt là-dedans pour avoir quelque chose de moins stupide que [l’applicatio­n pour iPhone] Siri, par exemple.»

Parmi les médias ayant ouvert la «discussion» robotisée avec ses lecteurs, on compte Le Devoir, qui a lancé son «bot» en juin — il s’appelle Henri. Radio-Canada s’est aussi lancée dans l’aventure du robot conversati­onnel tout récemment, même si les échanges y restent sommaires.

Ce «bot», qui utilise l’applicatio­n Facebook Messenger, fait des recommanda­tions de lecture, propose les articles à la une de différente­s sections du site et permet en quelque sorte qu’on s’abonne à une infolettre.

« On est au jour 1 de la création de son intelligen­ce, expliquait Xavier K. Richard, coordonnat­eur à l’innovation numérique à Radio-Canada. L’idée, c’est d’avoir une première version, et pas d’avoir tout de suite [un robot] qui offre des réponses aux questions. Ce qu’on pourrait faire, c’est le renforcer en donnant un score positif ou négatif à ses réponses, selon leur qualité. C’est là où le travail de Yoshua Bengio va aider. Mais c’est encore lointain. »

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