L’autre élection, celle des préfets
Les MRC de l’est du Québec sont-elles plus démocrates ?
Beaucoup de gens l’ignorent, mais le 5 novembre prochain, les électeurs ne voteront pas seulement pour des maires et des conseillers municipaux, mais aussi pour des préfets. Un exercice qui touche seulement 16 des 104 MRC du Québec. Le Devoir a voulu savoir ce qui les différencie des autres.
Dans la MRC de Témiscamingue, la course à la préfecture suscite autant d’intérêt que les courses à la mairie. Cette année, pas moins de quatre personnes sont candidates: l’ancien maire de Ville-Marie Bernard Flébus, l’ex-conseiller municipal Gilles Lepage, le commissaire scolaire Rénald Baril et l’ancienne présidente de Solidarité rurale Claire Bolduc.
«La population a pris conscience du rôle régional et le poste de préfet est très convoité », observe le préfet sortant, Arnaud Warolin. Selon lui, toutes les MRC gagneraient à imiter Témiscamingue et à élire leur préfet au suffrage universel plutôt que de laisser le choix au vote des maires.
Depuis 2001, le gouvernement permet en effet aux maires qui siègent à la MRC d’introduire le suffrage universel pour l’élection d’un préfet. Les préfets élus de cette façon peuvent ainsi se consacrer à la MRC à temps plein, alors que les autres doivent conjuguer cette fonction avec leur travail de maire. Or, parmi les 104 MRC que compte le Québec, la majorité ont opté pour le statu quo et les maires continuent d’élire leur préfet parmi eux.
À Témiscamingue, on a choisi de faire le saut en 2009. Pourquoi ? « On est dans un territoire rural qui compte 20 municipalités, quatre communautés algonquines, et c’était extrêmement difficile d’aller chercher une unité à travers tout ça, explique M. Warolin. Les maires avaient beaucoup de difficulté notamment à élire le préfet parmi eux. Le dernier avait été élu après huit tours à deux voix de majorité… »
C’est dans le Bas-SaintLaurent et en Gaspésie qu’on trouve le plus de préfets élus. Pas moins de 6 des 16 MRC où les préfets sont élus s’y trouvent (Kamouraska, Haute-Gaspésie, Matapédia, Rocher-Percé, Les Basques et Témiscouata).
Comment l’expliquer? Les gens de l’Est seraient-ils plus démocrates ? «Le fait d’avoir un préfet élu est très important dans les municipalités plus démunies sur le plan socioéconomique et subissant de sérieuses pertes démographiques», rétorque Gaétan Ruest, maire sortant d’Amqui, qui se présente cet automne à la préfecture de la Matapédia.
Les MRC du Bas-Saint-Laurent, dont les préfets sont élus au suffrage universel, sont en effet parmi les plus pauvres au Québec, avec un revenu médian oscillant autour de 35 000 $ (la moyenne québécoise est de 47 636 $).
«En plus, avec l’agrandissement des territoires des circonscriptions, les députés ont de moins en moins de temps à consacrer à chacune de leurs communautés, poursuit-il. Ici, le député local, Pascal Bérubé, est responsable d’au moins trois MRC. »
Dans une étude réalisée l’an dernier, la MRC de Pontiac notait que celles qui ont fait le saut ont en commun le fait d’être petites, éloignées, de ne pas avoir de ville centre dominante et d’avoir un revenu disponible par personne parmi les plus faibles au Québec.
L’adversaire de M. Ruest à la préfecture de la Matapédia, la préfète sortante Chantal Lavoie, croit quant à elle que le BasSaint-Laurent est «renommé» pour son esprit de «concertation », son «travail en équipe».
Le rôle du préfet, explique-t-on, consiste à se battre pour sa MRC auprès des gouvernements, à mobiliser les élus autour de projets communs, à trouver du financement… «Ça prend des gens fonceurs, innovants», résume Mme Lavoie.
Cette année, trois nouvelles MRC se sont ajoutées au groupe: Manicouagan (Côte-Nord), Le Granit (Estrie) et Pontiac (Outaouais). À la MRC de la Manicouagan, on voulait d’un préfet à temps plein «pour dynamiser le territoire», rapportait l’hebdo Le Manic quand la décision a été prise il y a un an.
Or plusieurs autres ont écarté d’emblée cette possibilité, comme la MRC de Papineau, par exemple. «Il y en a trois qui ont demandé de revenir à l’ancienne méthode, ce qui n’est pas possible une fois que c’est adopté», a fait valoir la préfète Paulette Lalande il y a quelques mois.
C’est le cas de la MRC du HautSaint-François, qui a voulu revenir en arrière en 2012, ce qui lui a été refusé par le ministère des Affaires municipales. Les élus trouvaient notamment que le taux de participation à l’élection n’était pas assez élevé (46%) et que le scrutin coûte trop cher (80 000 $ par élection).
Pour le préfet Arnaud Warolin, ce sont de «faux prétextes». «À ce moment-là, pourquoi ce ne serait pas la même chose pour un maire? Un député?» Il va plus loin en disant que la décision même d’introduire le suffrage universel devrait être prise par la population de la MRC.
«Ce n’est pas aux élus de faire le choix du suf frage universel, c’est à la population, dit-il. La question devrait être clairement posée aux citoyens. » Quant à l’argument économique, il fait valoir que le vote pourrait se faire en même temps qu’un autre scrutin. « Et aujourd’hui, avec les médias sociaux et les outils à notre disposition, connaître l’avis d’une population est un exercice somme toute assez facile.»
L’ex-maire, Gaétan Ruest, concède toutefois que le coût est prohibitif. Dans le passé, le ministère des Affaires municipales remboursait les frais du scrutin aux MRC, ce qui n’est plus le cas, souligne-t-il.
Au ministère, on confirme que ce programme n’a pas été reconduit depuis 2009-2010. Par ailleurs, le ministère ne prend pas position sur la pertinence d’élire ou non les préfets au suffrage universel.
Cela «relève entièrement du conseil de la MRC», a dit une porte-parole, qui souligne que le gouvernement a offert cette option à la demande de la Fédération québécoise des municipalités. Or cette dernière n’encourage pas nécessairement une telle pratique. «C’est à chaque MRC de voir quel est le meilleur modèle pour elle», a résumé son porte-parole Mathieu Leblanc.