L’exploration spatiale, un grand pas pour le privé
L’espace a été un véritable terrain d’affrontement pendant la guerre froide. De l’envoi du premier satellite à l’alunissage d’Apollo 11, les Soviétiques et les Américains ont tenu en haleine le monde entier au gré de leurs prouesses. Mais aujourd’hui, l’arrivée de nouveaux joueurs et l’enthousiasme pour Mars changent la donne. Le Devoir revient sur cette épopée céleste et en explore les nouveaux enjeux. Deuxième d’une série hebdomadaire de trois reportages.
Au moment où de nouvelles puissances comme la Chine et l’Inde investissent dans l’exploration spatiale, l’Occident, États-Unis en tête, réduit les budgets consacrés à ce domaine et laisse la place au privé. Depuis qu’elle a remisé ses navettes spatiales américaines en 2011, après 30 ans de service, la NASA s’en remet depuis aux lanceurs russes pour envoyer leurs astronautes vers la Station spatiale internationale (SSI). À 76 millions le siège, ce sont plus de 400 millions par année que les Américains payent aux Russes pour leurs services de lancement.
C’est pourquoi l’Agence spatiale américaine cherche aujourd’hui des solutions du côté du privé, qu’elle espère moins coûteuses, pour ses missions de routine vers la SSI. Et ainsi concentrer ses ressources vers des missions plus audacieuses, comme aller sur Mars d’ici les années 2030.
Entre en scène SpaceX. Créée en 2002 par le multimillionnaire Elon Musk, l’entreprise cherche d’abord à exploiter au maximum ce créneau du lancement en orbite. Depuis son premier contrat de ravitaillement de la SSI en 2008, elle s’est vite imposée comme un acteur incontournable. De moins de 10% en 2013, sa part mondiale des lancements commerciaux a bondi à 40 % cette année.
Tim Hughes, son vice-président, prédit qu’elle atteindra 60% en 2018. Le New York Times écrivait en juillet dernier que SpaceX est devenue une des sociétés privées les mieux cotées avec une valeur évaluée à 21 milliards.
Mais la concurrence reste féroce dans le ciel, et SpaceX n’a jamais eu le monopole des missions de ravitaillement vers la SSI. Elle doit aujourd’hui
partager le contrat octroyé par la NASA, bon jusqu’en 2024, avec deux autres gros joueurs du secteur: Orbital ATK et Sierra Nevada Corporation.
Changement de paradigme
Les ambitions du secteur privé ne s’arrêtent pas aux lancements commerciaux. En 2000, Jeff Bezos, patron d’Amazon, crée Blue Origin à même sa fortune personnelle. Son but? Rendre le tourisme spatial assez sécuritaire et abordable pour que des millions de personnes puissent s’y adonner.
D’autres, comme Planet Labs, exploitent le marché de l’imagerie satellite, avec comme modèle d’affaires la production à la chaîne, moins dispendieuse et plus rapide, de petits — « nano » — satellites.
Entre 2000 et 2015, 8,2 milliards ont été investis dans les entreprises spatiales, selon une étude de Bryce Space and Technology, une entreprise de conseil spécialisée dans l’aérospatiale. Sur la même période, plus de 80 nouvelles entreprises consacrées au secteur ont vu le jour. Souvent «incubées» dans des milieux semi-gouvernementaux, elles profitent aussi de subventions du gouvernement américain, fait remarquer Xavier Pasco, spécialiste de la politique spatiale américaine, dans son récent essai Le nouvel âge spatial.
Dans cette relation symbiotique, les entreprises ont besoin des juteux contrats de la NASA, alors que celle-ci voit d’un bon oeil que le secteur privé assume une plus grande part du risque et de l’investissement, note l’expert.
Si la multiplication des acteurs privés est pour le moment un phénomène limité aux États-Unis, celui-ci représente tout de même un «changement de paradigme», estime M. Pasco. La promesse du privé est de casser les prix et de rendre l’espace accessible à tous ceux qui souhaitent s’y rendre, pour le plaisir ou pour affaires.
Vers un nouvel équilibre?
Est-ce à dire que les pouvoirs publics américains se désengagent du secteur spatial? « Ils réorientent leurs investissements et externalisent une partie des coûts, qui étaient quand même assez lourds », nuance M. Pasco. On se dirige aujourd’hui « vers un nouvel équilibre entre acteurs publics et privés », ajoute-t-il.
Selon lui, en dépit de la «révolution permanente» portée par le privé, l’espace demeure éminemment gouvernemental. Les projets y sont trop coûteux et à trop long terme pour bien se marier avec le profit immédiat.
Une analyse que partage Robert Lamontagne. Même si une entreprise comme SpaceX ne cache pas ses ambitions martiennes, « l’exploration un peu plus audacieuse demeure le créneau des grandes agences spatiales, puisque ces projets sont extrêmement coûteux, estime le professeur. Mais l’exploitation commerciale et scientifique de l’environnement terrestre et, peut-être même, à terme, de la Lune se fera par le privé.»
Un changement qui ne menacerait toutefois pas l’existence de la NASA à long terme: « Elle n’a parfois dû sa survie qu’au recul symbolique qu’aurait signifié sa fermeture définitive, perspective qu’aucun président n’a jamais voulu affronter », souligne Xavier Pasco.