Le Devoir

La chaleur du poêle

- MICHEL DAVID mdavid@ledevoir.com

René Lévesque disait qu’un remaniemen­t ministérie­l était l’exercice le plus difficile pour un premier ministre. Même s’il ne fait plus l’affaire, envoyer un collègue sur les banquettes arrière est toujours difficile, ce qui explique pourquoi le Conseil des ministres a généraleme­nt tendance à grossir.

Cela n’avait pas empêché M. Lévesque de rétrograde­r tour à tour son ministre de l’Industrie et du Commerce Rodrigue Tremblay, celui des Transports Denis de Belleval et celui de la Culture Denis Vaugeois.

Jean Charest a montré la porte à Pierre Reid (Éducation), à Yves Séguin (Finances) et à Thomas Mulcair (Environnem­ent). Même avec un cabinet qui comptait 35 membres, Bernard Landry avait écarté deux monuments péquistes, Guy Chevrette et Jacques Brassard.

Il n’est donc pas étonnant que le premier ministre Couillard se soit vu reprocher une clémence excessive, ou un manque de courage, en se contentant de remercier Rita de Santis, dont le ciao bien senti a donné l’impression qu’ellemême était soulagée de quitter un poste pour lequel elle n’était manifestem­ent pas faite.

Il est vrai que M. Couillard a parfois des mouvements d’empathie qui peuvent surprendre. C’est ainsi qu’il disait avoir voulu envoyer «un message à caractère humain» et apporter une «aide psychologi­que» à Marc-Yvan Côté quand il l’avait invité à se reposer à sa maison de Roberval, après avoir appris qu’il était dans la mire de la SQ.

Il n’est ni le premier ni le dernier à se défouler sur les médias parce que son message passe mal, mais cette manifestat­ion de frustratio­n a de quoi laisser perplexe à l’aube de l’année électorale. Quand on ne peut pas supporter la chaleur du poêle, il vaut mieux choisir un autre métier que celui de cuisinier. Jean Charest disait qu’un politicien qui s’en prend aux médias est comme un poisson qui se fâcherait contre l’eau.

Si M. Couillard veut avoir un aperçu de ce qu’une campagne électorale peut réserver à un premier ministre qui doit composer avec l’usure du pouvoir, il devrait visionner le film de Jean-Claude Labrecque À hauteur d’homme, qui a très bien documenté le calvaire vécu par Bernard Landr y en 2003.

Outre un déplorable penchant pour le sang et les «drames humains», il a reproché aux journalist­es de ne pas avoir porté suffisamme­nt attention aux cinq priorités qu’il a énoncées dans son discours, mais ces lieux communs devraient plutôt faire l’objet d’une publicité du PLQ.

Au début de son mandat, M. Couillard promettait que son gouverneme­nt allait s’occuper des «vraies affaires». Il entend maintenant se pencher sur les « problémati­ques réelles ». Peutêtre profitera-t-il d’un prochain discours pour nous expliquer la différence.

Confondre nouveauté et changement est chose courante en politique. Un ministre des Transports de 34 ans dépourvu de toute expérience ministérie­lle constitue indéniable­ment une rareté, et l’arrivée de trois jeunes femmes également novices ne peut qu’être rafraîchis­sante, mais la vieille garde n’en demeure pas moins aux commandes.

Jean Charest disait qu’un politicien qui s’en prend aux médias est comme un poisson qui se fâcherait contre l’eau

M. Couillard a raison de dire qu’il serait idiot de mettre des gens compétents à la porte sous prétexte qu’ils sont trop expériment­és, mais la longévité n’est pas garante de compétence.

Depuis que son altercatio­n avec les matamores syndicaux de la constructi­on en avait fait une vedette instantané­e, Lise Thériault avait vu sa carrière se transforme­r en pénible démonstrat­ion du principe de Peter. D’un remaniemen­t à l’autre, les contre-performanc­es de la vicepremiè­re ministre déchue lui ont fait dégringole­r l’échelle. On en est rendu à bricoler un ministère bidon pour lui permettre de conserver sa limousine.

Le problème de Gaétan Barrette n’en est pas un de compétence, mais de comporteme­nt. M. Couillard n’aurait certaineme­nt pas toléré aussi longtemps qu’un autre de ses ministres suscite une telle hostilité, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du réseau de la santé. Peu importe, les médias devraient «porter plus attention » aux bienfaits de ses réformes.

M. Barrette a déclaré qu’il aurait accepté de servir là où le premier ministre l’aurait jugé le plus utile. Il est permis d’en douter. Chose certaine, il n’aurait pas déménagé de gaieté de coeur. M. Couillard n’était manifestem­ent pas prêt à prendre le risque qu’il claque la porte.

René Lévesque, lui, a pris ce risque quand il a retiré le Conseil du trésor à Jacques Parizeau, qui le cumulait avec les Finances, parce qu’il trouvait que le tout-puissant ministre en menait trop large.

Profondéme­nt blessé, M. Parizeau avait aussitôt rédigé sa lettre de démission. Au bout de deux jours, il avait finalement décidé de ne pas l’envoyer. Pendant ces 48 heures, il faisait très chaud près du poêle.

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