Le contrôle du bruit n’est pas un enjeu électoral
On s’amuse ferme à Coderreville! La cité des festivals est aussi un lieu bruyant qui exaspère de nombreux citoyens. Mais le bruit des fêtes incessantes, s’il est un irritant fort médiatisé pour les habitants du centre-ville (l’arrondissement de Ville-Marie) et certains voisins banlieusards (comme ceux de Saint-Lambert), est largement supplanté par un autre bruit, pratiquement passé sous silence celui-là: le tintamarre quotidien et «ordinaire» qui mortifie jusque dans leur domicile des centaines de milliers de contribuables et électeurs de Montréal.
Un adulte québécois sur six est fortement dérangé à son domicile par le bruit dans le voisinage — circulation routière, travaux et chantiers de construction, industries et commerces, ventilateurs et climatiseurs, bars et restaurants, etc. —, montre une enquête publiée l’an dernier conjointement par le ministère de la Santé et l’Institut de la statistique du Québec. Et parmi ces «dérangés» par le bruit, un sur quatre en subit des troubles du sommeil; autrement dit, le bruit peut rendre malade. Dans la ville de Montréal, près du quart d’un million d’adultes (et que dire des enfants) sont ainsi fortement incommodés par le bruit de tous les jours. Une autre étude a montré que 30 000 Montréalais contactent annuellement la municipalité (surtout par l’intermédiaire du service 311) au sujet du bruit. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes. Alors, pourquoi la question du bruit, prise au sérieux depuis longtemps déjà en Europe et dans de grandes villes comme New York, n’est-elle pas un enjeu dans la campagne électorale en cours à Montréal?
La réponse à cette question est simple: la pollution sonore n’est pas prise en compte par les politiciens et les élus parce que ces derniers sont ignorants de sa gravité, constate un rapport de 2015 de l’Institut national de santé publique du Québec. Ils croient, comme beaucoup de gens, que les problèmes de bruit ne sont que ponctuels et disparaissent aussitôt la charrue passée. Mais il n’en est rien: le bruit et ses conséquences pour la santé sont chroniques, surtout dans une grande ville. À cette ignorance s’ajoute l’indifférence de l’administration municipale et de ses fonctionnaires devant les problèmes de bruit. Une indifférence qui apparaît clairement dans la manière dont la Ville et ses arrondissements traitent, ou plutôt ne traitent pas, les plaintes de bruit… en particulier celles qui touchent les services municipaux eux-mêmes.
Les activités municipales (voirie, travaux publics et ateliers municipaux) sont elles-mêmes de grandes sources de bruit, et les citoyens qui portent plainte contre ce type de nuisance sont purement et simplement laissés pour compte, la municipalité faisant fi de ses propres règlements.
Des exemples concrets
Voici de quelle manière cela se passe (exemple vécu par moi-même et d’autres).
Il faut d’abord, selon les règles municipales inflexibles, porter plainte auprès de son arrondissement de résidence, ici le Plateau Mont-Royal. Il s’agit d’une plainte de bruit nocturne, faite la première fois en septembre 2014, contre les avertisseurs de recul des camions fréquentant en pleine nuit un atelier municipal qui est situé dans l’arrondissement voisin, ici Rosemont–La Petite-Patrie. Le service 311 vous informe qu’il acheminera la plainte à l’arrondissement voisin. Puis, plus de nouvelles du tout. On rappelle le 311 et on réussit finalement, au printemps 2015, après de multiples démarches y compris le recours à la Loi sur l’accès à l’information, à parler au technicien responsable du contrôle du bruit dans Rosemont. Ce technicien nous apprend alors qu’il ne s’occupe que des plaintes du « domaine privé », ce qui exclut la Ville de Montréal. Selon lui, la plainte sera transférée à la ville centrale, puisque les installations municipales où se trouve la source du bruit ne sont pas du ressort de l’arrondissement. Donc, rebelote, c’est la Ville de Montréal (la ville centrale) qui va s’en occuper, nous dit-on. Puis, rien. Après une rencontre tenue avec des élus de Rosemont, encore rien…
Juge et partie, l’administration municipale — c’est-à-dire les fonctionnaires comme les élus — a «classé» en douce, sans en aviser les plaignants, un nombre inconnu de plaintes du même genre. Il n’y a pas moyen de savoir — la Loi sur l’accès à l’information a été inopérante dans ce cas pour des « raisons techniques » restées inexpliquées — combien de plaintes contre le bruit sont ainsi « réglées » (la terminologie officielle) sans l’être vraiment.
Cette politique de l’autruche est celle de tous les partis municipaux qui dirigent soit la ville centrale, soit les arrondissements. Les candidats aux élections municipales clament que la «qualité de vie» des citoyens est au coeur de leurs préoccupations. Le contrôle du bruit ne devrait-il pas trôner au coeur de la qualité de vie?