Le Devoir

Et si nous votions plus souvent dans nos villes ?

- VÉRONIQUE FOURNIER Directrice du Centre d’écologie urbaine de Montréal et conseillèr­e de ville de 2009 à 2013

Alors que la campagne électorale bat son plein dans toutes les municipali­tés du Québec, nous avons invité quelques observateu­rs de la politique municipale à nous proposer leurs réflexions sur la participat­ion citoyenne et quelques grands enjeux. Cette série se poursuit le samedi.

Six millions de Québécois sont appelés aux urnes bien que moins de la moitié y déposeront leur bulletin de vote. Cette désaffecta­tion électorale s’avère paradoxale, vu la proximité des lieux de décisions que sont les municipali­tés. Plus encore, ce désengagem­ent contredit l’idée que «le milieu de vie de tous les jours» devrait préoccuper en premier lieu le citoyen et se traduire par le vote. Certes, de nombreux facteurs influencen­t la participat­ion électorale municipale, mais ils nous mènent tous au même constat, celui d’une apathie, voire d’une crise de confiance, envers nos institutio­ns démocratiq­ues.

À cet égard, de nombreuses villes cherchent à intéresser les citoyens aux affaires municipale­s et à accroître leur participat­ion au devenir de leur milieu. Parallèlem­ent, les citoyens délaissent les modes traditionn­els de participat­ion, et c’est particuliè­rement criant chez les jeunes, tout en revendiqua­nt de nouveaux modèles d’engagement. Et de part et d’autre, des passerelle­s de collaborat­ion émergent: à preuve, les mouvements citoyens de réappropri­ation des espaces publics, la mise en ligne de données ouvertes ou l’ouverture des marchés publics à l’économie sociale.

Ces réflexions d’ici concordent avec le discours urbain mondial actuel, où les villes constituer­aient l’espace privilégié de solutions aux défis globaux du climat, des inégalités, de la prospérité. Le Nouvel Agenda urbain de l’ONU renchérit sur l’importance de la participat­ion citoyenne à la prise de décision pour garantir un développem­ent durable et équitable des villes et du territoire.

À la recherche d’innovation­s démocratiq­ues

Or, la notion de participat­ion citoyenne est extrêmemen­t diversifié­e, de la soirée d’informatio­n jusqu’au droit référendai­re, et se retrouve souvent amalgamée à des activités de différente­s natures, de l’exercice en surface de relations publiques à l’engagement bénévole au sein de comités consultati­fs d’urbanisme. Pour y voir clair, la participat­ion citoyenne peut se limiter au premier échelon de l’informatio­n ou s’étendre en gradation jusqu’à la codécision. Et c’est précisémen­t ce que les processus de budget participat­if proposent.

Les processus de budget participat­if présentent un caractère innovant par leur capacité à reconfigur­er l’implicatio­n citoyenne dans un dispositif collaborat­if de gouvernanc­e locale. Concrèteme­nt, ce sont des processus démocratiq­ues où la population contribue aux décisions liées au budget d’investisse­ment municipal, en proposant des idées sous forme de projets et en les développan­t avec l’appui de la fonction publique. Les citoyens votent pour les projets d’investisse­ment qu’ils jugent prioritair­es; ceux obtenant le plus d’appuis sont approuvés par le conseil municipal pour être ensuite réalisés par la municipali­té. Et le cycle peut recommence­r annuelleme­nt. Des jardinets communauta­ires, un parc, une scène extérieure, du mobilier pour les aînés, ils ont comme trait commun d’être ancrés dans la réalité et les besoins des citoyens.

Le budget participat­if municipal

Reconnu comme l’une des plus importante­s innovation­s démocratiq­ues contempora­ines par le gouverneme­nt Obama, le budget participat­if connaît un essor fulgurant. À New York, d’un seul district en 2009, c’est maintenant plus de 38 millions de dollars et 31 initiative­s qui animent la vie démocratiq­ue. À Paris, la maire Hidalgo engage plus de 100 millions d’euros annuelleme­nt pour des projets à l’échelle des arrondisse­ments ou de la ville. Depuis 2014, des dizaines de projets de verdisseme­nt, de réfection de cours d’école, d’art public ou d’apaisement de la circulatio­n voient le jour grâce aux citoyens, avec l’appui de la Ville et des élus. À Toronto, l’expérience existe depuis 2015 dans trois zones; la pratique remonte jusqu’à 2001 avec les résidents de la Toronto Community Housing Corporatio­n. À Boston, avec l’initiative «Youth Lead the Change», c’est 1 million de dollars qui ont été consacrés à la collecte d’idées ensuite votées par les jeunes de 12 à 25 ans. Des gouverneme­nts supérieurs s’impliquent également: en Écosse, l’État soutient financière­ment les processus menés par les villes.

Au Québec, la Ville de Saint-Basile-le-Grand s’est engagée dans cette voie depuis 2014. Matane, Saguenay, Baie-Saint-Paul, Rimouski ont emboîté le pas. À Nicolet, en 2017, la population de 16 ans et plus a choisi d’aménager pour le public le quai du port Saint-François. Ces municipali­tés audacieuse­s font confiance aux citoyens pour proposer et affecter une partie du budget d’investisse­ment. Précurseur­es, elles repartagen­t le pouvoir autrement que tous les quatre ans, en créant un espace de délibérati­on inédit entre les élections où élus, population, fonctionna­ires et groupes organisés échangent au sujet de l’intérêt collectif.

Devant notre «fatigue» démocratiq­ue, ces initiative­s en cours au Québec portent l’espoir d’un renouveau. En outillant les citoyens à la démocratie participat­ive et au fonctionne­ment des institutio­ns municipale­s, elles développen­t une culture de la participat­ion civique et accroissen­t l’intérêt envers le travail fait par les élus et les fonctionna­ires. Les expérience­s nord-américaine­s ont engagé des population­s habituelle­ment éloignées des processus démocratiq­ues formels — pensons aux jeunes et aux communauté­s marginalis­ées — et mobilisé les citoyens à se prononcer positiveme­nt sur l’avenir de leur milieu de vie.

Cet automne, plusieurs candidats partout au Québec incluent ces idées à leur plateforme d’engagement­s électoraux. Et c’est bon signe. Car dans le contexte de la loi 122 où les municipali­tés québécoise­s sont dorénavant reconnues comme gouverneme­nts de proximité et voient leur autonomie et leur pouvoir augmenter, l’exigence démocratiq­ue fait aussi partie de l’équation.

 ?? RICHARD GOERG GETTY IMAGES ?? Au Québec, plusieurs villes se sont engagées dans la voie du budget participat­if, dont Baie-Saint-Paul.
RICHARD GOERG GETTY IMAGES Au Québec, plusieurs villes se sont engagées dans la voie du budget participat­if, dont Baie-Saint-Paul.

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