Et si nous votions plus souvent dans nos villes ?
Alors que la campagne électorale bat son plein dans toutes les municipalités du Québec, nous avons invité quelques observateurs de la politique municipale à nous proposer leurs réflexions sur la participation citoyenne et quelques grands enjeux. Cette série se poursuit le samedi.
Six millions de Québécois sont appelés aux urnes bien que moins de la moitié y déposeront leur bulletin de vote. Cette désaffectation électorale s’avère paradoxale, vu la proximité des lieux de décisions que sont les municipalités. Plus encore, ce désengagement contredit l’idée que «le milieu de vie de tous les jours» devrait préoccuper en premier lieu le citoyen et se traduire par le vote. Certes, de nombreux facteurs influencent la participation électorale municipale, mais ils nous mènent tous au même constat, celui d’une apathie, voire d’une crise de confiance, envers nos institutions démocratiques.
À cet égard, de nombreuses villes cherchent à intéresser les citoyens aux affaires municipales et à accroître leur participation au devenir de leur milieu. Parallèlement, les citoyens délaissent les modes traditionnels de participation, et c’est particulièrement criant chez les jeunes, tout en revendiquant de nouveaux modèles d’engagement. Et de part et d’autre, des passerelles de collaboration émergent: à preuve, les mouvements citoyens de réappropriation des espaces publics, la mise en ligne de données ouvertes ou l’ouverture des marchés publics à l’économie sociale.
Ces réflexions d’ici concordent avec le discours urbain mondial actuel, où les villes constitueraient l’espace privilégié de solutions aux défis globaux du climat, des inégalités, de la prospérité. Le Nouvel Agenda urbain de l’ONU renchérit sur l’importance de la participation citoyenne à la prise de décision pour garantir un développement durable et équitable des villes et du territoire.
À la recherche d’innovations démocratiques
Or, la notion de participation citoyenne est extrêmement diversifiée, de la soirée d’information jusqu’au droit référendaire, et se retrouve souvent amalgamée à des activités de différentes natures, de l’exercice en surface de relations publiques à l’engagement bénévole au sein de comités consultatifs d’urbanisme. Pour y voir clair, la participation citoyenne peut se limiter au premier échelon de l’information ou s’étendre en gradation jusqu’à la codécision. Et c’est précisément ce que les processus de budget participatif proposent.
Les processus de budget participatif présentent un caractère innovant par leur capacité à reconfigurer l’implication citoyenne dans un dispositif collaboratif de gouvernance locale. Concrètement, ce sont des processus démocratiques où la population contribue aux décisions liées au budget d’investissement municipal, en proposant des idées sous forme de projets et en les développant avec l’appui de la fonction publique. Les citoyens votent pour les projets d’investissement qu’ils jugent prioritaires; ceux obtenant le plus d’appuis sont approuvés par le conseil municipal pour être ensuite réalisés par la municipalité. Et le cycle peut recommencer annuellement. Des jardinets communautaires, un parc, une scène extérieure, du mobilier pour les aînés, ils ont comme trait commun d’être ancrés dans la réalité et les besoins des citoyens.
Le budget participatif municipal
Reconnu comme l’une des plus importantes innovations démocratiques contemporaines par le gouvernement Obama, le budget participatif connaît un essor fulgurant. À New York, d’un seul district en 2009, c’est maintenant plus de 38 millions de dollars et 31 initiatives qui animent la vie démocratique. À Paris, la maire Hidalgo engage plus de 100 millions d’euros annuellement pour des projets à l’échelle des arrondissements ou de la ville. Depuis 2014, des dizaines de projets de verdissement, de réfection de cours d’école, d’art public ou d’apaisement de la circulation voient le jour grâce aux citoyens, avec l’appui de la Ville et des élus. À Toronto, l’expérience existe depuis 2015 dans trois zones; la pratique remonte jusqu’à 2001 avec les résidents de la Toronto Community Housing Corporation. À Boston, avec l’initiative «Youth Lead the Change», c’est 1 million de dollars qui ont été consacrés à la collecte d’idées ensuite votées par les jeunes de 12 à 25 ans. Des gouvernements supérieurs s’impliquent également: en Écosse, l’État soutient financièrement les processus menés par les villes.
Au Québec, la Ville de Saint-Basile-le-Grand s’est engagée dans cette voie depuis 2014. Matane, Saguenay, Baie-Saint-Paul, Rimouski ont emboîté le pas. À Nicolet, en 2017, la population de 16 ans et plus a choisi d’aménager pour le public le quai du port Saint-François. Ces municipalités audacieuses font confiance aux citoyens pour proposer et affecter une partie du budget d’investissement. Précurseures, elles repartagent le pouvoir autrement que tous les quatre ans, en créant un espace de délibération inédit entre les élections où élus, population, fonctionnaires et groupes organisés échangent au sujet de l’intérêt collectif.
Devant notre «fatigue» démocratique, ces initiatives en cours au Québec portent l’espoir d’un renouveau. En outillant les citoyens à la démocratie participative et au fonctionnement des institutions municipales, elles développent une culture de la participation civique et accroissent l’intérêt envers le travail fait par les élus et les fonctionnaires. Les expériences nord-américaines ont engagé des populations habituellement éloignées des processus démocratiques formels — pensons aux jeunes et aux communautés marginalisées — et mobilisé les citoyens à se prononcer positivement sur l’avenir de leur milieu de vie.
Cet automne, plusieurs candidats partout au Québec incluent ces idées à leur plateforme d’engagements électoraux. Et c’est bon signe. Car dans le contexte de la loi 122 où les municipalités québécoises sont dorénavant reconnues comme gouvernements de proximité et voient leur autonomie et leur pouvoir augmenter, l’exigence démocratique fait aussi partie de l’équation.