Inégalités fiscales
La montée des inégalités de revenus n’est pas une fatalité. Mais les solutions ne vont pas toujours de soi non plus et dépassent la seule question des taux d’impôt.
Et dire que certains ne voient dans le Fonds monétaire international qu’un gardien de la pureté de la doctrine néolibérale! Cette fois-ci, le FMI a dévoilé mercredi une analyse sur les dangers de la montée des inégalités et sur ce que les politiques fiscales et de transferts sociaux des pays pouvaient y faire. L’une des conclusions était que les baisses d’impôt des dernières années avaient contribué au problème dans les pays développés et que leurs gouvernements pourraient augmenter les impôts sur le revenu des plus riches sans craindre de nuire à la croissance économique, bien au contraire.
En fait, les inégalités de revenu ont globalement diminué dans le monde depuis 30 ans, précisait-on, à la faveur notamment du spectaculaire réveil économique de géants comme la Chine et l’Inde. Si les inégalités ont crû, c’est à l’intérieur des pays eux-mêmes et, encore là, dans seulement un peu plus de la moitié d’entre eux, dont la plupart des pays développés. Cette hausse des inégalités serait principalement l’histoire du 1 % des plus riches qui se sont détachés du lot, premièrement en raison de facteurs mondiaux, comme les changements technologiques, la mondialisation et les récessions, mais aussi de facteurs propres à chaque pays, dont leurs choix de politiques fiscales et de transferts sociaux, leur contexte économique et la libéralisation de leurs lois du travail.
Le FMI constate notamment qu’on a eu tendance à réduire la progressivité des tables d’imposition d’une part en remontant le seuil minimal de revenu à partir duquel les plus humbles contribuables doivent commencer à payer de l’impôt et, d’autre part, en faisant disparaître plusieurs paliers d’imposition qui s’appliquaient aux plus riches, tout cela ayant pour résultat de déplacer le fardeau fiscal vers la classe moyenne et de voir s’envoler le revenu disponible du 1% des plus fortunés.
Le professeur Luc Godbout, de la chaire en fiscalité de l’Université de Sherbrooke, nous rappelait récemment, dans un article sur les 100 ans de l’impôt des particuliers au Canada, que ce dernier a déjà compté 25 paliers, plutôt que seulement 8 comme aujourd’hui, et que son taux marginal supérieur était de 82% en 1971 plutôt que de 53 % comme maintenant.
Pire qu’il n’y paraît
Mais la progressivité réelle de la fiscalité est généralement plus basse encore que ne le laissent croire les tables d’impôts, rappelle le FMI. On ne parle pas seulement ici de la capacité des plus riches de ruser avec l’impôt en recourant aux paradis fiscaux. Il s’agit aussi du fait qu’une partie de leurs revenus prend la forme de gains en capital et autres dividendes qui sont moins taxés que les salaires et de leur capacité de profiter plus que les autres d’avantages fiscaux comme les REER et les CELI au Canada.
La Commission d’examen sur la fiscalité québécoise, présidée par le même Luc Godbout, rapportait, il y a deux ans, que lorsqu’on fait le total pour un couple avec deux jeunes enfants de l’impôt à verser, des charges sociales (assurance-emploi, Régie des rentes…) et des baisses de prestations sociales, ce sont les ménages les plus pauvres (autour de 10 000$ de revenu de travail par année) et ceux qui sont à peine plus riches (40 000 $ par année) qui doivent retourner à l’État la plus grande proportion de chaque dollar supplémentaire gagné, à raison de presque 70¢ pour les uns et jusqu’à 91 ¢ pour les autres.
Parlant de transferts sociaux, le FMI rappelle que le principal mécanisme de redistribution de la richesse des États n’est pas l’impôt, qui ne compte en moyenne que pour 25 % de la réduction des écarts, mais bien les programmes d’aide sociale, de prestation pour enfants à charge, de sécurité de la vieillesse et autre crédit de taxes visant à assurer un minimum à tous et qui font les trois quarts (75%) du travail.
Plus qu’une affaire d’impôts
Cela a incité des pays, notamment scandinaves, à privilégier l’efficacité dans leur collecte de revenus fiscaux, au détriment parfois de sa progressivité (impôts plus élevés sur la classe moyenne, taxe à la consommation…), en faisant le pari que ces impacts négatifs seraient plus que compensés par des transferts sociaux plus généreux.
Le FMI se penche dans son analyse sur cette idée en vogue d’un revenu de base universel qui serait versé à tous les citoyens. Il en conclut que les plus démunis dans les pays développés seraient mieux servis par une amélioration des programmes plus ciblés existants, mais que l’idée pourrait être bonne si l’objectif est de s’adapter à la précarisation grandissante de l’emploi ou de convaincre la population de renoncer à des politiques fiscales ou sociales populaires, mais inefficaces.
L’institution rappelle aussi que les investissements dans des services publics comme l’éducation et la santé sont également de bons moyens de réduire les inégalités et de briser le cycle de la pauvreté. Elle note au passage qu’il n’y a pas qu’en matière de revenus que les gens sont inégaux. L’espérance de vie d’un diplômé universitaire est, par exemple, d’environ 4 ans de plus que celle d’un homme qui n’a pas terminé son secondaire au Canada. Cet écart est presque deux fois plus élevé aux États-Unis et presque deux fois plus élevé encore en Hongrie.
Là encore, dit le FMI, les gouvernements devraient porter une attention particulière aux écoles et aux services de santé des populations les plus démunies. Mais là encore, il faut s’assurer d’avoir les recettes fiscales nécessaires pour financer adéquatement ces services publics.