Le Devoir

Des services de soutien à domicile déficients

Le récent rapport de la protectric­e du citoyen révèle plusieurs lacunes dans la façon dont on dispense les soins de santé au Québec. Les services de soutien à domicile sont particuliè­rement visés. Selon le rapport, seulement 8,6 % des 65 ans et plus en bé

- STÉPHANE GAGNÉ

Dans une société vieillissa­nte comme le Québec, le soutien à domicile est primordial. Cela permet de retarder l’hospitalis­ation des aînés et ainsi d’éviter l’engorgemen­t dans les établissem­ents de santé. Le ministère de la Santé et des Services sociaux en est bien conscient, lui qui prévoyait dans son Plan stratégiqu­e 2015-2020, une hausse de 15 % du nombre de personnes en perte d’autonomie et recevant ce type de services. Or, selon le rapport de la protectric­e, ce chiffre a plutôt diminué de près de 1% entre les mois d’avril 2015 et 2016.

Personnel et investisse­ments insuf fisants

Que s’est-il passé? Les mesures d’austérité ont fait mal. La protectric­e du citoyen mentionne que des établissem­ents de santé ont éliminé des services ou réduit le temps consacré à certaines tâches. Avec pour conséquenc­e principale une pression accrue sur les épaules les aidants naturels.

«Les ressources allouées aux soins à domicile demeurent insuffisan­tes», déplore Carolle Dubé, présidente de l’Alliance du personnel profession­nel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), un syndicat qui compte 52 000 membres (physiothér­apeutes, travailleu­rs sociaux, ergothérap­eutes, etc.). «Le Québec est la province canadienne qui investit le moins dans ce domaine.»

Et cela nuit au personnel qui dispense les soins. «Nos profession­nels

se rendent chez les gens pour évaluer le nombre d’heures nécessaire­s tout en sachant que les services requis risquent de ne pas être rendus », déplore Mme Dubé.

Les membres de l’APTS ne suffisent ainsi pas à fournir un service adéquat et profession­nel. «Nos gens doivent travailler dans l’urgence et éteindre

des feux», explique Mme Dubé. Résultat: selon une enquête menée par le syndicat en novembre 2016, 72% des répondants considèren­t leur travail comme psychologi­quement exigeant et 45 % d’entre eux estiment être à risque de maladie et de tension psychologi­que en raison du stress vécu au travail.

Des infirmière­s à bout de souffle

Du côté des infirmière­s, la situation n’est guère meilleure. «Elles ont trop de patients à leur charge et elles ne sont pas remplacées lorsqu’elles

partent en congé», dénonce Nancy Bédard, 4e vice-présidente de la Fédération interprofe­ssionnelle de la santé du Québec (FIQ).

Son espoir repose maintenant sur le démarrage rapide du projet-pilote sur les ratios sécuritair­es profession­nels soins/patients. Des ratios qui permettrai­ent aux usagers de recevoir les soins dont ils ont besoin sans mettre en danger la santé physique et mentale des infirmiers et infirmière­s. La FIQ estime également que ce système permettrai­t une meilleure organisati­on du travail.

Le noeud du problème demeure cependant l’argent. En réponse au rapport de la protectric­e du citoyen, le ministre

Gaétan Barrette a affirmé que 4 milliards de dollars seraient requis pour répondre à tous les besoins en soutien à domicile. Or, selon Mme Bédard, de l’argent, il y en a, mais elle émet de sérieux doutes quant à la façon dont le ministre l’utilise. «Il vient d’accorder une hausse de salaire de 10% aux omnipratic­iens », s’indigne-t-elle. Pendant ce temps-là, la situation reste peu encouragea­nte pour les personnes en lourde perte d’autonomie. Entre 2013 et 2017, le gouverneme­nt a fermé près de 2800 places dans les centres d’hébergemen­t de soins de longue durée (CHSLD), alors qu’ils sont 3500 à attendre de pouvoir y entrer.

Un système de soutien à domicile méconnu

En matière de soutien à domicile, il existe pourtant un système bien implanté, mais méconnu, qui rend de grands services aux aînés désireux de demeurer à la maison plus longtemps. Il s’agit des entreprise­s d’économie sociale en aide à domicile (EESAD), récemment renommées le Réseau de coopératio­n des EESAD (à la suite de sa récente séparation d’avec la Fédération des coopérativ­es de services à domicile et de santé du Québec). Ce système en place depuis 20 ans compte 7800 préposés à l’aide à domicile qui offrent des services à 100 000 personnes. Ces profession­nels peuvent notamment faire le ménage, la vaisselle et offrir des soins corporels comme donner des bains. Ils n’offrent toutefois pas de soins infirmiers, une tâche réservée.

Les services offerts par les EESAD sont subvention­nés en vertu du Programme d’exonératio­n financière pour les services d’aide domestique (PEFSAD). Ainsi, pour les personnes à faible revenu, chaque heure de travail bénéficie d’une aide financière de 14 $ et leur revient donc à 6$. Même à ce tarif abordable cependant, «certaines personnes, dont les besoins nécessiten­t plusieurs heures d’aide par semaine, ne disposent pas des ressources nécessaire­s pour se payer le service », déplore Benoit Caron, directeur général du Réseau.

Un manque criant de main-d’oeuvre

Autre problème vécu: le réseau a de grands besoins en main-d’oeuvre. Dans un communiqué datant du 13 septembre, le Réseau des EESAD mentionne vouloir former 3500 préposés d’ici 2020. Mais des obstacles se dressent. «Le salaire que nous pouvons offrir demeure faible. Résultat, une centaine de nos employés sont partis travailler en CHSLD lorsque le gouverneme­nt a ouvert des postes», déplore Paul Lévesque, directeur des affaires publiques pour le Réseau.

Le travail au noir livre également une forte concurrenc­e et nuit à l’embauche. « Le ministre des Finances est sensibilis­é au problème, mais il ne fait

rien », assure Benoit Caron. Bref, le Réseau de coopératio­n des EESAD pourrait être une solution gagnante pour garder les aînés à la maison, mais l’argent, le travail au noir et le manque de maind’oeuvre demeurent des obstacles importants.

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ISTOCK Le système d’entreprise­s d’économie sociale en aide à domicile, en place depuis 20 ans, compte 7800 préposés à l’aide à domicile qui offrent des services à 100 000 personnes.

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