Le Devoir

Un accès plus facile aux soins de première ligne ?

- STÉPHANE GAGNÉ

En 2002, les premiers Groupes de médecine familiale (GMF) sont créés à la suite du dépôt du rapport de la commission Clair sur l'étude des services de santé et des services sociaux. Ils devaient permettre à la population d’accéder plus facilement à des soins médicaux. Depuis l’arrivée au pouvoir des libéraux, le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, a accéléré leur développem­ent, et depuis peu, celui des superclini­ques. L’accès aux soins de première ligne a-t-il été facilité, et les choses se déroulent-elles pour le mieux ?

Les syndicats, les ordres profession­nels oeuvrant dans le secteur de la santé et même certains médecins critiquent à l’unisson la façon dont le ministre Barrette s’y prend pour améliorer l’accès aux soins de première ligne par le biais des GMF.

Déshabille­r Paul pour habiller Pierre

À l’origine, les GMF devaient être une structure qui fonctionne en complément­arité avec les Centres locaux de services communauta­ires (CLSC), selon l’esprit du rapport Clair. Or, le ministre Barrette (qui a déjà affirmé ne pas croire au modèle des CLSC) a plutôt choisi de transférer la plupart des profession­nels de la santé (physiothér­apeutes, nutritionn­istes, travailleu­rs sociaux, psychologu­es, orthophoni­stes) travaillan­t dans les CLSC vers les GMF. Déjà, le rapport de la vérificatr­ice générale de 2015 qualifiait cette stratégie d’échec, car elle n’a pas permis une prise en charge des patients plus vulnérable­s et n’a pas amélioré l’accessibil­ité aux soins de première ligne.

La présidente de l’Ordre des travailleu­rs sociaux et des thérapeute­s conjugaux et familiaux du Québec, Guylaine Ouimette, admet que le transfert des profession­nels vers les GMF s’est fait de façon précipitée et, dans certains cas, cela a été désastreux. Elle soutient toutefois que la présence des profession­nels de la santé au sein des GMF a des aspects positifs. « Cela permet de développer une vision de la santé dans sa globalité, dit-elle. Une nouveauté, car depuis la création des CLSC, les médecins n’ont jamais voulu y travailler en associatio­n avec les profession­nels de la santé.» Selon elle, coller le social au médical est une formule gagnante. Le caractère privé des GMF dérange aussi. «La porte d’entrée des services sociaux devient le privé, déplore-t-elle. Certaines personnes qui allaient en CLSC n’iront pas dans les GMF, car ils n’y sont pas inscrits. Ils tombent donc entre deux chaises et cela constitue un effritemen­t des services sociaux publics.»

L’autre problème majeur est l’absence de budget supplément­aire alloué aux GMF pour intégrer les travailleu­rs sociaux, et cela, contrairem­ent aux infirmière­s qui ont obtenu ce budget.

Difficile cohabitati­on entre médecins et profession­nels

Dans les GMF, les profession­nels fonctionne­nt sous l’autorité des médecins. Dans les CLSC, un patient peut voir directemen­t un travailleu­r social. Dans les GMF, non. Il devra d’abord rencontrer un médecin. « Les travailleu­rs sociaux ont été mis sous la tutelle des médecins », souligne Mme Ouimette. Les infirmière­s vivent une situation semblable. Pour les infirmière­s praticienn­es spécialisé­es, formées pour poser certains actes médicaux réservés aux médecins, la nécessité pour les médecins d’atteindre des quotas de patients rend leur tâche moins attrayante. « Elles peuvent se retrouver parfois toute une journée sans patient à rencontrer afin que les médecins voient eux-mêmes ces gens pour atteindre leurs quotas », dénonce Nancy Bédard, 4e vice-présidente de la Fédération interprofe­ssionnelle de la santé du Québec (FIQ).

Des entités privées financées à même les fonds publics

Autre problème: on finance des « médecins entreprene­urs » avec l’argent du public, s’insurge Mme Bédard. Le rapport annuel 2017 de l’organisme Médecins québécois pour un régime public (MQRP) dénonce cet état de fait. Les auteurs ont analysé la forme légale de 54 GMF de l’île de Montréal et ont constaté que 40 d’entre eux étaient des sociétés par actions. «Le MQRP considère que cette médecine entreprene­uriale, à la recherche de profits, ne cadre pas avec le caractère public des services de première ligne », affirme Isabelle Leblanc, présidente du MQRP. Le mouvement souhaitera­it que les GMF soient des OSBL, fonctionna­nt selon le modèle des CLSC, dotés d’un conseil d’administra­tion responsabl­e et composé de médecins, de profession­nels et de patients.

Des superclini­ques nécessaire­s?

La FIQ et le MQRP émettent aussi des doutes quant à la pertinence des superclini­ques annoncées par le ministre Barrette. Les deux organismes doutent que l’ajout de cette nouvelle structure (dans laquelle le gouverneme­nt investit 22 millions de dollars) améliore l’accès aux soins de première ligne. Et elles fonctionne­ront sans doute selon le même modèle que les GMF, déplore-t-on.

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Guylaine Ouimette

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