Des organismes fustigent l’injustice du système public-privé
Plusieurs organisations syndicales et acteurs de la santé mènent une grande campagne à l’échelle du Canada en faveur de la mise en place d’une assurance médicaments publique et universelle. Une bataille qui fait écho à une revendication de plusieurs mouvements, ici au Québec, qui souhaitent en finir avec le système hybride public-privé, qu’ils jugent coûteux pour le citoyen… et juteux tant pour l’industrie pharmaceutique que pour les compagnies d’assurance privées.
«Il n’y a rien de plus frustrant que de voir un patient en consultation, de lui prescrire un médicament et de l’entendre dire qu’il ne pourra pas le payer», raconte Isabelle Leblanc, présidente de Médecins québécois pour un régime public (MQRP), organisme qui défend depuis plusieurs années l’idée d’en venir à une assurance médicaments entièrement publique. «Ça arrive surtout dans les autres provinces,
ajoute-t-elle, parce qu’il n’y a pas du tout de régime public. Mais ça nous arrive aussi ici, au Québec. Parce que les médicaments sont très chers et que juste avoir à en payer une part, c’est déjà trop pour certaines personnes.»
Le Canada est le seul pays développé au monde muni d’un système de santé universel, mais dépourvu d’un régime d’assurance médicaments public. Dans le même temps, il se classe au deuxième rang mondial des pays où le prix pour les médicaments sur ordonnance est le plus élevé, juste derrière les États-Unis.
Public-privé
Le Québec est dans une situation particulière au sein de la Confédération puisqu’il a mis en place il y a 20 ans de cela une assurance médicaments publique pour toutes les personnes ne bénéficiant pas d’une assurance privée grâce à leur employeur ou à celui de leur conjoint. «Cela fait en sorte que tous les Québécois et les Québécoises sont assurés, souligne Daniel Boyer, président de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), qui participe à la campagne pour un régime public et universel d’assurance médicaments. Mais à quel prix!»
M. Boyer rappelle que toutes les personnes qui travaillent pour un employeur qui offre l’assurance médicaments dans son assurance collective
n’ont pas d’autre choix que de la prendre. Or, les coûts ont explosé ces dernières années.
«Prenons l’exemple d’une femme, parce que ce sont souvent elles les plus précaires, qui travaille à temps partiel et qui se voit dans l’obligation de prendre l’assurance privée de son employeur, illustre-t-il. Ça lui reviendrait certainement moins cher si elle avait le choix de prendre l’assurance publique puisqu’elle paierait, pour partie, en fonction de ses revenus. »
Rappelons en effet que ceux qui bénéficient du régime public doivent s’acquitter d’une prime annuelle calculée selon le revenu et pouvant atteindre 667$. À cela s’ajoutent une franchise mensuelle de 19,45 $ et une coassurance de 34,8 % du coût de chaque médicament.
Plébiscite des Québécois
Résultat : 12 % des Québécois n’ont pas les moyens d’acheter les médicaments dont ils ont besoin, affirme le syndicat, qui souligne que nombreux sont ceux qui fractionnent leurs comprimés, ne les prennent pas tous les jours pour faire durer leurs ordonnances ou ne les achètent tout simplement pas.
Et pourtant, ces coûts pourraient être bien moindres si tout le monde adhérait à un même régime public puisque les frais administratifs seraient mieux répartis et que le coût des médicaments serait lui aussi revu à la baisse.
«Si les pharmaceutiques n’avaient en face d’elles qu’un seul client, à savoir le service public, qui leur passerait des commandes de gros, le prix des médicaments n’exploserait pas comme c’est le cas aujourd’hui», indique le président de la FTQ.
Lors de son dernier congrès en décembre dernier, le syndicat avait mis le sujet sur la table, s’engageant à tenir un colloque sur cette question dans les trois prochaines années. Raison pour laquelle lorsque le Congrès du travail du Canada (CTC), suivi par plusieurs autres organismes tels que l’Association médicale canadienne, la Fédération canadienne des syndicats d’infirmières et d’infirmiers, les Médecins canadiens pour le régime public, la Fédération canadienne des municipalités, ou encore la Coalition canadienne de la santé, a lancé sa grande campagne pancanadienne sur ce thème lors de la fête du Travail début septembre, le syndicat y a tout de suite adhéré.
Comme un grand nombre de Québécois du reste. D’après les résultats d’un sondage national mené par Angus Reid en 2015, 91 % des Québécois sont d’accord avec l’établissement d’un régime universel d’assurance médicaments. Malgré cela, Isabelle Leblanc de MQRP ne croit pas en une avancée sur le sujet dans un avenir plus ou moins proche.
Arguments économiques
« Chaque fois que le gouvernement a été approché, il y a eu une fin de non-recevoir, regrette-telle. Qu’une campagne prenne naissance dans le reste du Canada, c’est une bonne nouvelle, car si l’universalité d’une assurance médicaments publique devait être inscrite dans la Loi canadienne sur la santé, le Québec devrait s’y plier. Malheureusement, je crois que si le dossier allait de l’avant au fédéral, ce serait pour calquer ce qui se fait déjà au Québec, soit le partenariat public-privé. »
Daniel Boyer veut quant à lui rester optimiste. Il admet qu’il n’y a pas vraiment de volonté du gouvernement libéral d’aller de l’avant dans ce dossier, mais il compte bien sur la prochaine campagne électorale pour mettre le sujet sur la table.
Et il avance pour cela des arguments économiques. Selon les différentes organisations défendant le régime public et universel, en investissant 1 milliard de dollars par an, le gouvernement fédéral permettra aux Canadiens d’économiser 7,3 milliards de dollars par an sur le coût des médicaments qui leur sont prescrits.
Elles estiment également que le système actuel ne profite qu’à l’industrie pharmaceutique et aux compagnies d’assurance privées. Selon elles, les premières peuvent en effet augmenter le prix des médicaments comme bon leur semble. Quant aux secondes, elles facturent aux employeurs, aux syndicats et aux employés, des frais pour la gestion des régimes privés d’assurance médicaments.