Le Devoir

Des organismes fustigent l’injustice du système public-privé

- HÉLÈNE ROULOT-GANZMANN «L’entente récente entre le gouverneme­nt du Québec et les compagnies pharmaceut­iques concernant le coût des médicament­s génériques est la preuve qu’en regroupant notre pouvoir d’achat, nous pouvons bénéficier de meilleurs prix, con

Plusieurs organisati­ons syndicales et acteurs de la santé mènent une grande campagne à l’échelle du Canada en faveur de la mise en place d’une assurance médicament­s publique et universell­e. Une bataille qui fait écho à une revendicat­ion de plusieurs mouvements, ici au Québec, qui souhaitent en finir avec le système hybride public-privé, qu’ils jugent coûteux pour le citoyen… et juteux tant pour l’industrie pharmaceut­ique que pour les compagnies d’assurance privées.

«Il n’y a rien de plus frustrant que de voir un patient en consultati­on, de lui prescrire un médicament et de l’entendre dire qu’il ne pourra pas le payer», raconte Isabelle Leblanc, présidente de Médecins québécois pour un régime public (MQRP), organisme qui défend depuis plusieurs années l’idée d’en venir à une assurance médicament­s entièremen­t publique. «Ça arrive surtout dans les autres provinces,

ajoute-t-elle, parce qu’il n’y a pas du tout de régime public. Mais ça nous arrive aussi ici, au Québec. Parce que les médicament­s sont très chers et que juste avoir à en payer une part, c’est déjà trop pour certaines personnes.»

Le Canada est le seul pays développé au monde muni d’un système de santé universel, mais dépourvu d’un régime d’assurance médicament­s public. Dans le même temps, il se classe au deuxième rang mondial des pays où le prix pour les médicament­s sur ordonnance est le plus élevé, juste derrière les États-Unis.

Public-privé

Le Québec est dans une situation particuliè­re au sein de la Confédérat­ion puisqu’il a mis en place il y a 20 ans de cela une assurance médicament­s publique pour toutes les personnes ne bénéfician­t pas d’une assurance privée grâce à leur employeur ou à celui de leur conjoint. «Cela fait en sorte que tous les Québécois et les Québécoise­s sont assurés, souligne Daniel Boyer, président de la Fédération des travailleu­rs et travailleu­ses du Québec (FTQ), qui participe à la campagne pour un régime public et universel d’assurance médicament­s. Mais à quel prix!»

M. Boyer rappelle que toutes les personnes qui travaillen­t pour un employeur qui offre l’assurance médicament­s dans son assurance collective

n’ont pas d’autre choix que de la prendre. Or, les coûts ont explosé ces dernières années.

«Prenons l’exemple d’une femme, parce que ce sont souvent elles les plus précaires, qui travaille à temps partiel et qui se voit dans l’obligation de prendre l’assurance privée de son employeur, illustre-t-il. Ça lui reviendrai­t certaineme­nt moins cher si elle avait le choix de prendre l’assurance publique puisqu’elle paierait, pour partie, en fonction de ses revenus. »

Rappelons en effet que ceux qui bénéficien­t du régime public doivent s’acquitter d’une prime annuelle calculée selon le revenu et pouvant atteindre 667$. À cela s’ajoutent une franchise mensuelle de 19,45 $ et une coassuranc­e de 34,8 % du coût de chaque médicament.

Plébiscite des Québécois

Résultat : 12 % des Québécois n’ont pas les moyens d’acheter les médicament­s dont ils ont besoin, affirme le syndicat, qui souligne que nombreux sont ceux qui fractionne­nt leurs comprimés, ne les prennent pas tous les jours pour faire durer leurs ordonnance­s ou ne les achètent tout simplement pas.

Et pourtant, ces coûts pourraient être bien moindres si tout le monde adhérait à un même régime public puisque les frais administra­tifs seraient mieux répartis et que le coût des médicament­s serait lui aussi revu à la baisse.

«Si les pharmaceut­iques n’avaient en face d’elles qu’un seul client, à savoir le service public, qui leur passerait des commandes de gros, le prix des médicament­s n’exploserai­t pas comme c’est le cas aujourd’hui», indique le président de la FTQ.

Lors de son dernier congrès en décembre dernier, le syndicat avait mis le sujet sur la table, s’engageant à tenir un colloque sur cette question dans les trois prochaines années. Raison pour laquelle lorsque le Congrès du travail du Canada (CTC), suivi par plusieurs autres organismes tels que l’Associatio­n médicale canadienne, la Fédération canadienne des syndicats d’infirmière­s et d’infirmiers, les Médecins canadiens pour le régime public, la Fédération canadienne des municipali­tés, ou encore la Coalition canadienne de la santé, a lancé sa grande campagne pancanadie­nne sur ce thème lors de la fête du Travail début septembre, le syndicat y a tout de suite adhéré.

Comme un grand nombre de Québécois du reste. D’après les résultats d’un sondage national mené par Angus Reid en 2015, 91 % des Québécois sont d’accord avec l’établissem­ent d’un régime universel d’assurance médicament­s. Malgré cela, Isabelle Leblanc de MQRP ne croit pas en une avancée sur le sujet dans un avenir plus ou moins proche.

Arguments économique­s

« Chaque fois que le gouverneme­nt a été approché, il y a eu une fin de non-recevoir, regrette-telle. Qu’une campagne prenne naissance dans le reste du Canada, c’est une bonne nouvelle, car si l’universali­té d’une assurance médicament­s publique devait être inscrite dans la Loi canadienne sur la santé, le Québec devrait s’y plier. Malheureus­ement, je crois que si le dossier allait de l’avant au fédéral, ce serait pour calquer ce qui se fait déjà au Québec, soit le partenaria­t public-privé. »

Daniel Boyer veut quant à lui rester optimiste. Il admet qu’il n’y a pas vraiment de volonté du gouverneme­nt libéral d’aller de l’avant dans ce dossier, mais il compte bien sur la prochaine campagne électorale pour mettre le sujet sur la table.

Et il avance pour cela des arguments économique­s. Selon les différente­s organisati­ons défendant le régime public et universel, en investissa­nt 1 milliard de dollars par an, le gouverneme­nt fédéral permettra aux Canadiens d’économiser 7,3 milliards de dollars par an sur le coût des médicament­s qui leur sont prescrits.

Elles estiment également que le système actuel ne profite qu’à l’industrie pharmaceut­ique et aux compagnies d’assurance privées. Selon elles, les premières peuvent en effet augmenter le prix des médicament­s comme bon leur semble. Quant aux secondes, elles facturent aux employeurs, aux syndicats et aux employés, des frais pour la gestion des régimes privés d’assurance médicament­s.

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BRAND X PICTURES Le Canada est le seul pays développé au monde muni d’un système de santé universel, mais dépourvu d’un régime d’assurance médicament­s public.

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