Polices de caractère
L’imposteur, Faits divers et le nouveau thriller à la québécoise
Le crime paie. Beaucoup même. Plusieurs des émissions les plus payantes de l’automne, en cotes d’écoute comme en réception critique, proposent des histoires criminelles, de bonnes vieilles affaires de bandits et de police. Ça nous change des récits de famille. Merci, et pourvu que ça dure.
Le lundi, c’est carrément la fête avec trois propositions nationales hyperalléchantes : District 31, quotidienne campée dans un poste de police de Montréal, et deux séries à court volume L’imposteur (TVA) et Faits divers (RC), qui seront toutes deux bouclées avant Noël, la première en étant à sa seconde saison. Ces deux-là partagent beaucoup d’éléments forts, comme autant de pièces à conviction, qui donnent la certitude d’être devant de l’extrêmement bien fait.
Scénario. Comme les feuilletons romanesques du XIXe siècle dont elles sont les héritières, les séries reposent d’abord et avant tout sur des histoires captivantes bien racontées.
L’imposteur (par Annie Piérard, Bernard Dansereau et leur fils Étienne Piérard-Dansereau) et
Faits divers (Johanne Arseneau) donnent là des leçons. Les deux productions n’appliquent pas, ou alors pas complètement, la technique classique du « whodunit » du roman policier classique. Dans ce modèle du jeu d’énigme, l’auteur s’amuse à camoufler des indices dans le récit que le lecteur ou le spectateur doit décrypter pour trouver « qui l’a fait ».
Dans L’imposteur, il y a bien des crimes, mais chaque fois on sait qui a fait quoi. L’intérêt est ailleurs, dans le grand jeu de double face du personnage principal. Faits divers effleure le modèle du « whodunit », mais là encore sans appuyer sur ce seul aspect de la recherche du coupable. Il y a bien eu des crimes. Les criminels semblent assez clairement identifiés, bien que les révélations se multiplient sur les responsabilités de chacun.
Bref, il s’agit de thrillers hautement maîtrisés. Le suspense sert de fil conducteur, instaurant des tensions constantes qui maintiennent le téléspectateur dans une excitation captivante. L’imposteur pousse ce procédé à son paroxysme, de scène en scène, alors que la magistrale balloune existentielle du petit dealer de dope devenu policier semble constamment sur le point d’éclater.
Jeu. Il faut évidemment des comédiens doués pour maintenir le rythme, et les deux séries sont très bien servies. Marc-André Grondin livre une interprétation exemplaire en Youri, menteur compulsif, nerveux, traqué mais résistant. Ce gars-là fait comprendre le bouillonnement de son monde intérieur avec ses yeux, son dos, sa démarche. Dans Faits divers, c’est le travail d’équipe du plateau qui se démarque
avec plusieurs interprétations surélevées fournies par Isabelle Blais (en enquêteuse enquiquinée par son ex), Fabien Cloutier (le suspect qui s’enfonce), Mylène MacKay et David Boutin (la soeur et le frère crapules), Marie-Eve Beaulieu (l’avocate véreuse prête à tout) ou Jean-Pierre Bergeron (vraiment bon en pas bon).
Réalisation. Les maîtres d’oeuvre Yan Lanouette Turgeon (TVA) et Stéphane Lapointe (RC) amplifient chacun à leur manière le matériel mis à leur disposition. Leurs talents se révèlent notamment dans les choix de lieux pour camper l’action.
Les grandes qualités de la série du double se révèlent dès le générique. Des images de construction empruntant des voies parallèles (des ponts, des escaliers…) défilent rapidement en noir et blanc au rythme d’une musique techno-industrielle de Ramachandra Bocar. Le reste se développe dans un Montréal étrange, loin des gratteciel, sans être miteux, dans une sorte de banlieue-en-ville avec plusieurs lieux (le loft de Youri, l’église orthodoxe dans un parc, etc.) forçant le questionnement sur l’identité de cette ville métonymique où se déguise un bien malin filou.
Faits divers joue aussi l’ambiguïté en s’éloignant cette fois des images d’Épinal de la campagne bucolique. On est dans la bébelle province ici, dans un petit monde magané, souvent sans âme, peuplé de magouilleurs vivant de trafics en tous genres.
Morale. Au total, il faut bien se demander à quoi sert cette nouvelle représentation du crime. Les études savantes répètent que les crime dramas reflètent peut-être plus que tout autre genre narratif les dilemmes moraux d’un temps.
Un criminel agit. Des justiciers, en uniforme ou pas, le traquent pour le punir. Une série policière, c’est finalement l’exposition d’un moyen de rétablir de l’ordre dans le chaos. Ou un récit par lequel l’extraordinaire s’insère dans l’ordinaire, où le mythique perce la vie quotidienne. De camper la séquence dans des lieux familiers, avec des personnages qui nous ressemblent, ne fait que décupler l’intérêt du portrait de groupe.
Justement, tout s’embrouille, et ce qui fait désordre a bien changé. La force de ces fictions télévisuelles, c’est aussi de rendre les criminels attachants. On angoisse devant les menaces qui planent sur la vie de Youri, même si c’est un assassin avéré. La même sympathie ambiguë émane du personnage de Mike Pratt joué par Fabien Cloutier dans l’autre série. Il empeste la magouille. Il s’empêtre dans ses mensonges. En même temps, on le sent victime de forces encore plus noires et on finit par le prendre un peu en pitié.
Le rôle des policiers aussi s’entortille. On comprend vite que l’imposteur remplace un ripou de première classe qui luimême mentait à qui mieux mieux à ses collègues en plus de livrer «sa soeur cadette à de vilains messieurs pour des prix de famine», comme le dit le poème. Faits divers présente des policiers sympas, surtout des femmes, dont beaucoup enceintes, mais malmène l’image de l’avocat et des gens d’affaires. Il ne manque qu’un ou deux politiciens faisandés pour composer un portrait vraisemblable, ici, maintenant, là où le crime paie, beaucoup…