Riopelle et Mitchell : l’amour et l’amour de l’art
Jean-Paul Riopelle et Joan Mitchell, couple d’amour, couple de peinture? Jamais établie, cette conclusion est au coeur de l’exposition Mitchell/Riopelle, un couple dans la démesure que vient d’inaugurer le Musée national des beaux-arts du Québec.
«On a des photos de JeanPaul Riopelle, des filles Riopelle, des chiens… Riopelle, pour nous, c’est ça », lance Laura Morris, archiviste à la Fondation Joan Mitchell.
À l’instar de Mitchell, connue au Québec comme un des grands amours de Riopelle, Riopelle n’est, aux États-Unis, que l’homme dont a été amoureuse Mitchell. Des deux côtés de la frontière, on sait que le ou la partenaire était artiste, sans plus.
L’exposition Mitchell/Riopelle, un couple dans la démesure vise à rapprocher les deux artistes au-delà de leur relation amoureuse. En couple officiel ou officieux pendant un quart de siècle, Joan Mitchell et Jean-Paul Riopelle auront partagé leur vie, à distance ou ensemble, à Paris et ailleurs.
«De Riopelle, je n’avais vu que des images dans les livres», reconnaît Laura Morris, en marge de la visite de presse de l’expo du Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ). La fondation new-yorkaise pour laquelle elle travaille, admet-elle, a conservé les Riopelle de Joan Mitchell. Mais ces toiles et sculptures ont toujours été condamnées à la noirceur des réserves.
«On craignait que l’exposition centre l’attention sur la relation intime. Mais non, c’est concentré sur l’art», dit, rassurée, celle qui s’exprime en français. Avis aux intéressés: les documents photo sont projetés dans le hall précédant les salles d’exposition.
Grands formats
Mitchell/Riopelle, un couple dans la démesure n’est pas une affaire de moeurs, mais d’art, tout aussi démesurée que les nombreuses toiles de très grand format. Saint-Anthon (1954) de Riopelle fait près de trois mètres sur quatre. Le triptyque Girolata (1964) de Mitchell dépasse même les quatre mètres de haut.
L’expo couvre près de 30 ans, de 1949 à 1978, et plus si on inclut l’épilogue en deux oeuvres de 1992, année du décès de Mitchell et de la réalisation de l’Hommage à Rosa Luxembourg, la fresque que lui dédie Riopelle. Excepté cette dernière, aucun tableau de l’expo n’appartient au MNBAQ. Cinquante-neuf oeuvres, 35 prêteurs: ça en dit long sur la complexité du programme.
La prémisse de Michel Martin, l’ex-conservateur du MNBAQ qui pilotait ce projet depuis longtemps, est simple: trouver le point commun à «deux personnalités fortes qui s’unissent pendant 25 ans». «Il est impensable qu’ils n’aient pas échangé sur la peinture», clame le commissaire invité.
Or, voilà Mitchell et Riopelle sous le même toit public. C’était du jamais vu jusqu’à mercredi, jour du vernissage de l’exposition. Leur rapprochement esthétique était resté en dehors de toute étude.
«Tous les convoyeurs qui ont transporté des tableaux nous disaient ça : “comment est-ce possible que ce soit la première fois ?” raconte Line Ouellet, directrice du MNBAQ. Michel Martin a fait une recherche épique. On se retrouve avec le plus important corpus de Joan Mitchell jamais réuni au Canada.»
Côté Riopelle, le MNBAQ propose aussi des inédits. La moitié de ses oeuvres exposées n’a jamais été présentée au pays, dont celles qui sont la propriété de la Fondation Mitchell.
Résonance et dissonance
Michel Martin a voulu cerner les «effets» de résonance et de dissonance, de distance et de convergence entre les deux artistes. Son découpage dans les salles, qui suit la chronologie de leur relation, permet de comparer la simultanéité de leurs créations.
Au contact de Joan Mitchell, Jean-Paul Riopelle aurait intégré le blanc, à la fin des années 1950, et donné un nouveau dynamisme à ses compositions. La peintre, associée à la deuxième génération de l’expressionnisme américain, aurait, elle, rompu à cette époque avec les formes concentriques au profit d’une écriture plus gestuelle.
«Dans tout ce qui a été publié aux ÉtatsUnis, on parle des liens entre Mitchell et [Georges] Mathieu, mais jamais de Riopelle », dit le chercheur québécois, surpris par ce «fossé de silence».
Martin a décortiqué la correspondance entre les deux tourtereaux. Riopelle y avoue son sentiment de faire du Mitchell, alors que cette dernière se contente d’évoquer l’impact sur elle «d’un artiste de Paris qui travaille avec la spatule ».
Laura Morris espère que le public verra «deux grands artistes influencés l’un par l’autre», mais elle le met en garde. Aussi important soit-il, le corpus Mitchell n’a pas le poids d’une rétrospective complète. «On peut penser qu’elle ne fait que du grand format. C’est faux», soutient-elle.
L’équilibre obtenu par Michel Martin a néanmoins surpris l’archiviste. Les deux corpus s’équivalent, et oui, reconnaît-elle, gagnent à cohabiter. Parmi les beaux coups, Laura Morris retient le face-à-face entre le Girolata de Mitchell et Large Triptych (1964) de Riopelle, deux ensembles conservés au Hirshhorn Museum de la Smithsonian Institution de Washington.
Cette période forte en triptyques est considérée par Martin comme celle de « la convergence la plus évidente». Les deux peintres travaillent leurs panneaux latéraux par des tonalités qui font résonner la partie centrale.
Les premières distances surviennent, croit le commissaire, au moment où chacun s’achète une propriété, elle à Vétheuil, au nord de Paris, lui dans les Laurentides. La section «Canada et nordicité» exprime plastiquement ce qui les sépare. La série «Canada» de Mitchell est notoire pour ses tons froids, alors que les «Iceberg» de Riopelle célèbrent la beauté nordique. Elle reste la coloriste de toujours, lui avance vers le noir et blanc.
Après Québec, Mitchell/Riopelle, un couple dans la démesure se pointera à Toronto, puis en Bretagne. L’absence d’un arrêt aux États-Unis est notable. Line Ouellet assure avoir tendu des perches, mais reconnaît qu’il était trop tôt. Riopelle n’a pas de fortune critique. L’expo, rêve-t-elle, sera un premier pas pour éveiller nos voisins à son sujet.
MITCHELL/RIOPELLE UN COUPLE DANS LA DÉMESURE
Au Musée national des beaux-arts du Québec, jusqu’au 7 janvier