Le Devoir

Louis Sclavis, l’horreur de l’immobilité

- SERGE TRUFFAUT

Àl’évidence, le clarinetti­ste Louis Sclavis déteste l’immobilité artistique. Déteste tout ce qui contrarie l’évolution. Depuis qu’on suit son parcours, autrement dit depuis des lunes, il a toujours été, pour dire les choses simplement, droit devant. Aujourd’hui, voilà qu’il nous propose un album qui partage beaucoup plus de saillies esthétique­s avec la musique de chambre de Bartók ou Chostakovi­tch, Penderecki ou Poulenc qu’avec maître Ellington. Mettons que, géographiq­uement causant, il est plus Lettonie ou Estonie que Chicago ou Kansas City.

En compagnie du violoniste Dominique Pifarély et du violoncell­iste Vincent Courtois, le Lyonnais d’origine qu’est Sclavis propose depuis peu Asian Fields Variations sur l’étiquette ECM, qui distille très souvent l’ennui, les langueurs monotones, mais pas ici. On insiste: il n’y a ni batterie, ni piano, ni claviers électroniq­ues presque toujours présents dans les production­s antérieure­s de notre homme.

Par contre, la densité qui a toujours distingué celui qui a souvent côtoyé Michel Portal, Henri Texier, Aldo Romano et d’autres cracks de la musique improvisée européenne est aussi présente aujourd’hui qu’elle l’était hier. Il y a chez Sclavis un souci constant d’aller à l’essentiel et de s’y tenir. Là, le souci en question se conjugue avec ce qui est vital.

À l’écoute, on est en effet frappé par l’extrême méticulosi­té avec laquelle chacun des protagonis­tes jongle afin de mettre en relief la substantie­lle moelle, si l’on peut dire les choses ainsi, inhérente à chacune des compositio­ns. Il faut préciser, voire rappeler, que Sclavis, comme d’ailleurs ses complices, est autant clarinetti­ste que compositeu­r.

Dans la catégorie musique de chambre de la musique improvisée européenne, cet Asian Fields Variations se pose comme une étape incontourn­able. Cela étant, on veut profiter de l’occasion pour… signaler, ou plutôt souligner, que tout amateur de cette esthétique musicale devrait être fort séduit par deux albums parus également sur l’étiquette ECM, soit L’imparfait des langues et le sublime Dans la nuit qui, lui, devrait ravir les amateurs de cinéma. À la demande de Bertrand Tavernier, Sclavis avait composé et interprété la musique qui accompagne désormais ce Dans la nuit qui est l’un des derniers films muets français, que l’acteur Charles Vanel avait réalisé en 1929. Dans la nuit est un chef-d’oeuvre. Point.

Dans la foulée du poignant documentai­re What Happened, Miss Simone?, une flopée d’albums ont fait leur apparition dans les bacs des disquaires. Bien. Ayant constaté que les margoulins du grand capital se sont engouffrés dans les sillons du succès rencontré par ce film pour proposer tout et n’importe quoi, on a fait nos calculs pour savoir si la masse monétaire de la Réserve fédérale était toujours à M3’. Puis? Voici ce qu’on vous conseille moyennant un débours de 23$ sans les taxes : Nina Simone – Seven Classics Albums publié par la maison britanniqu­e Real Gone Jazz. L’essentiel comme le meilleur de cette extraordin­aire chanteuse-pianiste et grande militante des droits civiques, c’est à retenir, s’y trouve.

Le chanteur et batteur au long cours — plus de 60 ans de carrière — Grady Tate vient de s’éteindre. Il avait 85 ans. Il avait accompagné aussi bien Aretha Franklin et Oscar Peterson que les soeurs McGarrigle — oui, oui, oui —, Paul Simon ou Dizzy Gillespie. En d’autres termes, Grady Tate était la personnifi­cation de la polyvalenc­e à la batterie. Ave, et non amen !

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AGENCE FRANCE-PRESSE Louis Sclavis

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