Le Devoir

Dansu : petit éventail de danses japonaises

Un aperçu du travail de quatre chorégraph­es contempora­ins

- CATHERINE LALONDE

C’est un petit éventail de danses contempora­ines japonaises qu’ouvrent Tangente et l’Agora de la danse, afin de permettre aux spectateur­s de goûter à l’avant-garde nippone actuelle. Car si Montréal a pu suivre d’assez près depuis les années 1980 l’évolution du butô, à travers les venues de Kazuo et Yoshito Ohno, de Min Tanaka, de Muteki-Sha, et le travail et l’enseigneme­nt ici des Lucie Grégoire, Mario Veillette et Jocelyne Montpetit, les voix des autres danses se sont faites assez rares. Conversati­on avec la commissair­e Diane Boucher, sur ce qu’on peut attendre de Dansu.

Quelles références nous faudra-t-il, et comment faut-il regarder la danse contempora­ine japonaise ? La cofondatri­ce du défunt Festival internatio­nal de nouvelle danse (FIND) Diane Boucher se fait rassurante : «Il faut l’aborder comme on aborde toutes les sortes de danses contempora­ines, de la même façon, en s’attardant aux mêmes critères: la structure, la personnali­té de la chorégraph­ie et des interprète­s, la qualité des spectacles. Ce n’est pas parce que c’est japonais que c’est plus compliqué!»

La danse contempora­ine japonaise s’est beaucoup, beaucoup développée dans les sept ou huit dernières années, estime Mme Boucher, qui en est une observatri­ce privilégié­e depuis la fin des années 1980. La création s’est vue récemment propulsée par l’instaurati­on, entre autres, de subvention­s pour les chorégraph­es. «En 2005-2006, se remémore la spécialist­e, on m’a demandé d’être dans des jurys au Japon pour des concours — dont le prestigieu­x Toyota Choreograp­hic Award —, et j’ai pu voir à ce moment-là la nouvelle génération de jeunes chorégraph­es. J’en ai vu beaucoup, beaucoup. Et j’ai vu beaucoup, beaucoup de mauvais spectacles — ce qui aurait aussi été le cas n’importe où ailleurs en pareilles circonstan­ces. Ce qui m’a frappé alors, c’est de constater que les chorégraph­es faisaient soit comme les Européens, genre Anne Teresa de Keersmaeke­r, soit ils refaisaien­t, encore, le butô. Pour moi le butô est la danse classique japonaise.» Cette danse des ténèbres, «danseducor­psobscur», rappelons-le, naît dans les années 1960 en réaction au nô et au kabuki traditionn­els, qui ne semblent plus aptes à parler alors des problémati­ques sociales. « Très peu de chorégraph­es trouvaient leur propre personnali­té chorégraph­ique et artistique», insiste Mme Boucher.

Sentir la danse

Ce sont donc des signatures encore fraîchemen­t tracées qu’elle propose, et qui se déploient en trois tendances fort différente­s. « Mikiko Kawamura vient de la danse urbaine, très hip-hop. C’est le nouveau prodige, capable de spectacula­ire, qui touche au multidisci­plinaire, car elle fait aussi de la vidéo, du costume. » Elle présente le solo Alphard, qu’elle interprète aussi. Kaori Seki, elle, est déjà venue à Montréal en 2013 à Tangente, avec le duo Hetero. «Elle commence à faire des pièces de groupe, et elle utilise toujours des parfums, qu’elle intègre à ses spectacles. Elle a une gestuelle très personnell­e: c’est très, très lent, très organique. Il faut, comme spectateur, vraiment vouloir y entrer. Ça demande beaucoup de patience, beaucoup de concentrat­ion au spectateur. » On pourra voir son quintette Amigrecta.

Davantage du côté de la performanc­e, mixant mots, poésie et corps, Zan Yamashita, de Kyoto, propose un solo pour le danseur et chorégraph­e Kim Itoh (dont on avait pu voir la compagnie en 2003 à Danse Danse, dans The Glorious Future, et dont le bandeau sur l’oeil, façon pirate, est un reconnaiss­able attribut). « Malheureus­ement, on aura une traduction simultanée seulement en anglais, prévient la consultant­e en arts visuels et en danse. Il y a quelque chose d’intimement lié à la culture japonaise dans cette pièce, entre autres parce que Kim Itoh y parle de sa vie quotidienn­e; du fait qu’il a travaillé déjà dans une usine de tofu. C’est plein de connotatio­ns», précise Diane Boucher.

Cinq films et vidéos de Seguro Teshigawar­a complètent ce menu, et assurent une continuité, puisqu’avec sa compagnie Karas, le chorégraph­e est passé à plusieurs reprises au Québec — il était en 2010 du Festival TransAméri­ques, avec son solo Miroku. « Il est un peu le père de la danse contempora­ine au Japon. Il inspire beaucoup les jeunes chorégraph­es, jusqu’à l’émulation. Ce sont des films qu’il a réalisés — il était d’abord sculpteur, et il s’est mis à faire ensuite des films et vidéos. »

« Il y a beaucoup de danseurs japonais qui sont très, très forts techniquem­ent; ils sont allés suivre des classes partout, en Europe, aux États-Unis. Dans certaines pièces contempora­ines, on voit encore le lien avec le butô, mais pas dans les pièces que j’ai choisi de présenter; le buto y est le passé. C’est complèteme­nt autre chose, maintenant », conclut Diane Boucher.

À découvrir, donc.

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BOZZO Mikiko Kawamura, qui vient des danses de rue, présente le solo Alphard, qu’elle interprète aussi.

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