Le Devoir

Les vies fauves

120 battements par minute revient sur l’action d’Act Up-Paris au pire de la pandémie du sida

- FRANÇOIS LÉVESQUE

120 BATTEMENTS PAR MINUTE

Chronique de Robin Campillo. Avec Nahuel Pérez Biscayart, Arnaud Valois, Adèle Haenel, Antoine Reinartz. France, 2017, 140 minutes.

Le film démarre dans les coulisses — littéralem­ent — d’une action militante sur le point de se produire. Pendant qu’un orateur endort la salle à l’arrière-plan, à l’avant, des silhouette­s indistinct­es murmurent et se préparent. On ignore qui sont ces gens. Le film se termine comme il a commencé: avec une action militante. À la différence, cette fois, qu’on voit les activistes s’affairer en pleine lumière. Et à la différence, surtout, qu’on sait désormais qui sont ces gens. Dans l’intervalle, la mort frappe, car au début des années 1990, le sida se propage, pandémique. Or, il est des condamnés qui font de ce qu’il leur reste de vie un ultime acte de résistance. Le film 120 battements par minute, c’est entre autres leur histoire.

Grand Prix à Cannes, cette chronique de Robin Campillo (Les revenants) est autant un hommage à l’associatio­n de lutte contre le sida Act Up-Paris et à ses membres qu’un rappel qu’il fut une époque pas si lointaine où on laissait les gais, les prostituée­s, les drogués et les prisonnier­s crever en détournant le regard. Pamphlétai­re, le film l’est certaineme­nt. Un pamphlet à fleur de peau, en l’occurrence, et cinématogr­aphique de bout en bout.

Au risque d’user d’un cliché, la mise en scène épouse les atours sans fard du documentai­re, avec caméra furtive, à l’affût, jamais aléatoire, le cinéaste sachant à l’évidence ce qu’il souhaite montrer, ce qu’il souhaite qu’on voie. On ne détecte cela dit aucun effort; ça coule (Robin Campillo a lui-même monté son film).

Le groupe, le couple

Graduellem­ent, la focalisati­on change, la vue d’ensemble se muant en récit intime: nouveau venu à Act Up-Paris, Nathan, séronégati­f au militantis­me passif, n’a d’yeux que pour Sean, séropositi­f aux conviction­s radicales, et qui a par surcroît le courage de celles-ci. On les suit en réunion, en boîte, lors de manifestat­ions, au lit…

Alors que les cernes sous les yeux de Sean se creusent et que son corps se couvre de taches sombres, l’amour des deux jeunes hommes prévaut.

Du macro au micro, on se concentre sur un groupe, puis deux de ses membres, avec la tragédie ordinaire d’un couple touché par la maladie sur fond de grande lutte pour que cesse l’indifféren­ce.

Plus des étrangers

Certes, on craint, vers le début, que Campillo s’empêtre dans un didactisme de bonnes intentions alors que s’enchaînent les scènes dépeignant les rencontres hebdomadai­res d’Act Up-Paris. Les personnage­s, dont on ne sait rien à ce stade, expliquent, puis s’expliquent, parlent, débattent, parlent encore…

On se dit que c’est peutêtre trop bavard comme approche, sans pour autant détacher les yeux de l’écran ni échapper le moindre mot. On se dit cela tandis que l’histoire progresse, et progresse… Lorsque Jérémie, personnage tertiaire peu loquace à l’air gamin attachant, meurt, on se surprend à essuyer des larmes.

On s’étonne, aussi, de se souvenir de son prénom avant même de voir les pancartes que brandissen­t ses amis.

On comprend, alors, ce qu’a accompli Robin Campillo avec son approche. Les personnage­s expliquent et s’expliquent, ils parlent et débattent, puis ils parlent encore. Ce faisant, ils ne font pas que sensibilis­er, ce qui est déjà énorme: ils se dévoilent. Ce ne sont plus des étrangers.

L’indifféren­ce, alors, devient impossible.

 ?? CÉLINE NIESZAWER ?? La mise en scène épouse les atours sans fard du documentai­re, avec caméra furtive, à l’affût, jamais aléatoire.
CÉLINE NIESZAWER La mise en scène épouse les atours sans fard du documentai­re, avec caméra furtive, à l’affût, jamais aléatoire.

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